8 décembre 2021
Icône latino-américaine à Washington

Inauguré en 1971 avec la Mass de Bernstein, le John F. Kennedy Center for the performing arts à Washington est l’un des plus grands complexes culturels américains, après le Lincoln Center de New York. Si le projet a émergé dans les années trente, dans le cadre du New Deal voulu par Roosevelt pour faire face à la Grande Dépression, il ne s’est concrétisé que trois décennies plus tard, avec une architecture monumentale dans l’esprit de l’époque, et imaginée par Edward Durell Stone – qui a également dessiné entre autres le Moma à New York. Hébergeant les plus grandes forces artistiques de la capitale fédérale, le bâtiment compte trois grandes salles, l’Opera House et le Concert Hall, deux auditoriums de plus de 2000 places, ainsi que le Eisenhower Theater.

C’est dans cette salle d’un peu plus de 1100 fauteuils que le Ballet Hispanico propose un biopic chorégraphique Doña Peron, consacré à Eva Peron, l’une des plus grandes icônes de l’histoire contemporaine argentine. D’origine modeste, l’actrice contribua, aux côtés de son époux, le colonel Juan Peron, premier président de la république en Argentine à avoir été au suffrage universel, à d’importants progrès sociaux pour les femmes et les travailleurs. Sa mort prématurée d’un cancer de l’utérus à seulement 33 ans la propulsa au rang de mythe, en même temps que son rôle politique a parfois été controversé. La compagnie créée par Tina Ramirez – aujourd’hui dirigé par Eduardo Vilaro –, et qui est à la communauté hispanique ce qu’est pour les Noirs américains celle d’Alvin Ailey, retrace ainsi le parcours d’Eva Peron, avec un sens certain de la narration et du sentiment, depuis sa jeunesse difficile d’enfant illégitime jusqu’à sa gloire au carrefour de l’ambition personnelle et du dévouement à la cause populaire. En une heure dix, sur une musique très efficace, Dandara Veiga fait vibrer la sensibilité du personnage dans une synthèse entre la vitalité physique et l’intensité des émotions portant la veine latino-américaine à une expressivité universelle. Nina Basu incarne un touchant double enfantin, aux côtés du père campé par Antonio Cangiano, de Gabrielle Sprauve en belle-mère et Laura Perich en demi-soeur, dans un tableau familial comme les aiment les américains. Face à l’aura de Juan Peron dévolue à Chris Bloom, le chorus amplifie de manière irrésistible la tension dramatique, dans des contrastes soulignés par la scénographie et les lumières. Une tragédie dansée ramassée, à la portée de tous les publics : l’enthousiasme au tomber de rideau ne trompe pas.

D’Eva Peron au récital

Mais le Kennedy Center comporte également, outre un espace d’exposition au dernier étage qui résume les engagements de JFK, en particulier pour la culture, et une terrasse avec vue sur la rivière, cinq autres petites salles, dont la plus vaste est le Terrace Theater, qui avec près de 500 sièges, accueille aussi bien des concerts de musique chambre que des formats théâtraux ou chorégraphiques plus intimes. C’est dans cet écrin que le Young Concert Artists présente de nouveaux talents, à l’exemple du ténor Daniel McGrew. Accompagné au piano par Sophia Zhou, son récital affirme une ouverture esthétique allant de Brahms à une création de Nina Shekhar, compositrice en résidence au Young Concert Artists, Pieces of You, sur des fragments assemblés par le chanteur lui-même, dans une sorte de performance-collage renouvelant la forme de la mélodie, à défaut d’un langage musical singulier. Le sens de l’expression, un peu prudent dans les Deutsche Volkslieder de Brahms, ne manque pas néanmoins à l’interprète, et se retrouve dans les Trois mélodies de Verlaine de Debussy, les Songs to poems by Frank O’Hara de Christopher Berg, et plus encore les Holy Sonnets of John Donne de Britten, que Daniel McGrew présente en quelques mots à l’auditoire avec un engagement sensible dans sa lecture du cycle. La soirée se referme sur une note plus jazzy avec deux arrangements de Buds won’t bud et It’s a new world de Harold Arlen, confirmant l’indéniable palette du jeune ténor.

Par Gilles Charlassier

Dona Perron, récital Daniel McGrew, Kennedy Center, Washington, décembre 2022.

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