Début d’année placé sous le signe des anniversaires. Comme l’enseigne le proverbe, il n’est jamais trop tard pour commencer. Figure incontournable de la musique de chambre dont la réputation n’est plus à faire – membre fondateur du Beaux-Arts Trio – Menahem Pressler fête ses quatre-vingt dix…par une tournée de concerts. Après Amsterdam, Saint-Pétersbourg, c’est à Berlin et à son Orchestre Philharmonique qu’il fait escale avec lequel il n’avait encore jamais joué, avec le Concerto pour piano n°17 de Mozart – œuvre symbolique puisqu’elle fut au programme lors de sa première fois avec l’Orchestre de Paris en 2011.
Mozart poétique, Chostakovitch cinématographique
Courir derrière la virtuosité gratuite n’a jamais été le cheval de bataille de ce poète du clavier qu’est Menahem Pressler, et son Mozart respire un lyrisme délicat et intérieur. Certes les mouvements vifs succombent à une certaine douceur un peu hésitante, mais on ne peut résister à la tendresse ineffable de l’Andante. Semyon Bychkov se montre plein de respect envers l’inégalable nonagénaire, lequel offre avec un Nocturne de Chopin en bis un peu de la quintessence de sa sensibilité intimiste. En seconde partie de soirée, le chef russe exalte la puissance évocatrice quasi cinématographique de la Onzième Symphonie de Chostakovitch, hommage aux journées insurrectionnelles de 1905, mais également un écho à celles de Budapest en 1956, contemporaines de la composition de l’œuvre. Dans cette partition ponctuée de références à des chants populaires et révolutionnaires, la maîtrise de la richesse orchestrale confirme l’excellence de la phalange berlinoise, et la montée vers le climax de la marche finale s’avère d’une prenante intensité.
Deux semaines plus tard, Menahem Pressler retrouve l’Orchestre de Paris et Paavo Järvi pour le Vingt-troisième Concerto de Mozart, avec son célèbre Adagio sur lequel Angelin Preljocaj a chorégraphié son fameux baiser à la fin de son ballet Le Parc. C’est ici que le toucher tout en retenue du pianiste allemand exprime au mieux la pudique mélancolie de cette page, en particulier dans une coda qui semble résumer ce que Cioran trouvait dans « certains andantes de Mozart » : « une sorte de désolation éthérée et comme un rêve de funérailles dans une autre vie ». On retrouve ce frémissement dans les deux Chopin livrés en bis, reprenant entre autres le même Nocturne qu’à Berlin. La seconde partie d’une soirée ouverte avec une roborative symphonie de Haydn – la 83ème, surnommée « L’Ours » – fait entendre, sans interruption les deux dernières de Sibelius. Paavo Järvi cisèle l’écriture surprenante de la Sixième, qui procède par touches apparemment hétérogènes, tandis que la Septième, en un seul mouvement, s’achève sur une conclusion lumineuse et apaisée dont le chef estonien laisse épanouir les textures.
Mentionnons également la venue, la semaine précédente, d’Herbert Blomstedt pour un concert entièrement consacré à Brahms. L’on peut certes regretter que le solide métier de ce fringuant monsieur de quatre-vingt-six printemps bride le vagabondage typiquement brahmsien de l’Allegretto dans la Deuxième Symphonie, mais la trop rare Trilogie pour chœur mixte et orchestre – comprenant le puissant Chant du destin et le méconnu Chant des Parques, joué pour la première fois par l’Orchestre de Paris – force l’admiration. Les chœurs préparés par Lionel Sow sont au diapason de la noblesse de ces partitions écrites sur des textes de Schiller, Goethe et Hölderlin – rien moins que cela !
Sept décennies d’excellence
Notre panorama de concerts de ce mois de janvier serait incomplet si l’on oubliait le gala des 70 ans du concours Long-Thibaut-Crespin – du nom de la pianiste Marguerite Long, du violoniste Jacques Thibaut et de la soprano Régine Crespin. En sept décennies, les plus grands solistes ont été récompensés – citons entre autres pour le clavier Samson François, Aldo Ciccolini pour les gloires du passé, Bertrand Chamayou et Jean Frédéric Neuburger pour les lauréats de ces dernières années… L’histoire de la compétition n’a pas échappé au scandale quand, en 1951, Ivry Gitlis n’a été promu qu’à la cinquième place parce qu’il représentait Israël… En cette soirée anniversaire, animée au Théâtre des Champs Elysées par Olivier Bellamy à laquelle se presse une partie du Tout-Paris, ce sont des jeunes talents récemment couronnés que l’on vient applaudir, accompagnés par l’Orchestre Lamoureux. Ida Falk Winland se chauffe à Mozart avant d’éblouir avec « Glitter and be gay » du Candide de Bernstein qu’elle a chanté à Nancy en décembre dernier – et de finir avec un très attendu « Una voce poco fa » du Barbier de Séville. Si Guillaume Vincent, nommé aux Victoires de la musique dans la catégorie révélation soliste instrumental – trophée qui est revenu à l’altiste Adrien La Marca – séduit ostensiblement le public avec le Second Concerto pour piano de Rachmaninov, Tatsuki Narita émeut par son archet sincère et élégant dans le célèbre Concerto pour violon de Mendelssohn. La relève est assurée…
Par Gilles Charlassier
Menahem Pressler à la Philharmonie de Berlin, 12 janvier 2014
Orchestre de Paris, 23 et 30 janvier 2014
Gala Concours Long-Thibaut-Crespin, 22 janvier 2014