40 000 jeunes payent aujourd’hui leurs études « en nature », c’est-à-dire, en offrant son corps contre le savoir. Tennessee, l’héroïne de l’Echelle des sens, quatrième roman de Franck Ruzé, le fait pour payer et ses études de psycho et son psy. Après le film Elles de Szumowska avec Juliette Binoche, cet écrivain éclectique – paysagiste-dessinateur-photographe et musicien- aborde la prostitution estudiantine avec un style franc et simple, et fait preuve d’une grande lucidité. Bien plus qu’un constat de ce fléau en progression, l’auteur mène une reflexion sur de nombreux points, toujours de manière touchante et originale, sans jamais de complaisance. L’humour et l’ironie, dont il avait déjà fait preuve, en 2009, dans Les hommes préfèrent les connes , prêtent ainsi des airs de Bridget Jones sombre à l’héroïne. Mais surtout, donne au livre un souffle de légèreté et de relativisme.
Combien tu vaux ?
Acheter un corps, pourquoi pas. Acheter des sentiments, c’est plus dur. Et Franck Ruzé l’exprime avec simplicité à travers la bouche de Tess qui ironise sur « son travail », rémunéré à l’heure : « Au fond, tous mes clients sont des Cendrillons. Et moi, je suis l’heure. » Ce livre, rempli de dérision montre aussi la dureté de cette condition : « 700 euros de l’heure, pour moi, brut. Ça peut paraître beaucoup, pour une heure. Mais si on calcule, ça fait juste un peu plus de 11 euros la minute. Et il y a des minutes difficile à supporter pour 11 euros ». Mais, le centre névralgique du roman est sans doute ce besoin de comprendre, de rationnaliser les sentiments et les émotions. Tout converge vers l’introspection de soiavec de nombreux passages relatant les séances entre Tess et son psychologue. En parallèle du témoignage de l’antique métier des filles de joie, une fine analyse de l’amour et de son rôle est menée dans le roman. « C’est quand on est ado qu’on tombe le plus facilement amoureux. Et je me demande, donc, si l’amour ne serait pas comme un réflexe, pour lutter contre une mauvaise estime de soi et des pensées morbides. L’ amour serait une sorte d’antidépresseur, en fait. (..) Finalement, on ne devrait pas dire » ensemble pour la vie », mais « ensemble pour pouvoir vivre ». Voilà qui est joliment dit.
Par Elodie Terrassin
L’échelle des sens de Franck Ruzé chez Albin Michel-15 euros