Caroline Sonrier referme son mandat à l’Opéra de Lille avec une nouvelle coproduction du Faust de Gounod avec l’Opéra Comique qui résume, en un brillant final, le renaissance d’une maison dont elle a fait un carrefour de coopérations artistiques, à la manière d’une dynamique de festival, renouvelant l’approche du répertoire. Six ans après la parution, en 2019, de l’enregistrement de la version originelle de Faust de 1859, avec Christophe Rousset et Les Talens Lyriques, ainsi que le soutien du Palazzetto Bru Zane, cette mouture n’avait plus connu la scène depuis la création au Second Empire.
Si le public ne retrouve pas certains des numéros les plus connus de l’ouvrage que la tradition a consacrés, tels la Ronde du veau d’or de Méphisto ou l’air de Valentin Avant de quitter ces lieux, il découvre des pages inédites, à l’instar de la kabbalistique Chanson du nombre treize du diable, qui trouve un écho dans le Choeur des Sorcières au dernier acte, et surtout une acuité théâtrale nouvelle, mettant en relief les rapports entre les personnages. Ainsi, dans le Prologue, on comprend de manière beaucoup plus explicite que Wagner et Siebel sont deux disciples, aux caractères antagonistes, l’un hâbleur, l’autre fleur bleue, d’un Faust à la bienveillance paternelle un peu lasse. Le travail de diction et de direction d’acteurs aboutit à une appréciable fluidité entre la déclamation et le chant, qui met en valeur une dramaturgie plus proche de la pièce de Goethe.
Avec la scénographie d’Eric Ruf, et ses changements à vue, le spectacle mis en scène par Denis Podalydès joue habilement de l’enchaînement des saynètes dans un esprit de parabole qui n’empêche pas la trivialité du réel. La traduction visuelle de l’écoulement temporel révèle une même maîtrise, à l’instar du bâtard de Marguerite qui n’a plus rien d’un nourrisson. Sous les lumières calibrées avec justesse par Bertrand Couderc, les costumes de Christian Lacroix réinventant l’époque de la création de l’ouvrage et les chorégraphies de Cécile Bon contribuent à une vitalité aussi intelligente que divertissante, ponctuée d’images symboliques, telle la couronne lumineuse, aura du destin et de l’innocence qui, en s’abaissant au moment du rideau final, vient refermer le cercle de l’épopée tragi-comique faustienne.
Une incontestable réussite
Dans le rôle-titre, Julien Dran laisse s’épanouir son ténor à la fois brillant et souple, qui a désormais conquis sa pleine maturité, laquelle exprime une évidente science du style, dont la célèbre cavatine, Salut demeure chaste et pure, ici prolongée par une cabalette, offre un témoignage remarquable. Souffrante pour la première, Vanina Santoni n’en démontre pas moins une authentique sensibilité dans son incarnation de Marguerite, plus complexe que certaines simplifications un peu emphatiques léguées par la tradition. Avec un Méphistophélès à la partie théâtre accrue, Jérôme Boutillier ne se fait pas prier pour mettre ses solides moyens au service d’un cabotinage de circonstance. Lionel Lhote porte la sévérité implacable de Valentin, qui contraste avec les émois de Siebel que Juliette Mey fait babiller avec un séduisant fruité. Anas Séguin confère à Wagner une belle carrure, au diapason des exigences de la partition. Marie Lenormand minaude avec un métier accompli les pruderies de Dame Marthe.
Préparé par Mathieu Romano et Louis Gal, le Choeur de l’Opéra de Lille ne laisse apparaître aucune faiblesse. Mais l’autre cheville de cette résurrection du Faust originel de Gounod reste évidemment la direction de Louis Langrée. A la tête d’un Orchestre national de Lille au meilleur de sa forme, le chef français accompagne avec autant de maîtrise que d’instinct la plasticité expressive des tempi, fouillant dans des effets rubato toute l’urgence du drame et des sentiments. Une incontestable réussite que le public de l’Opéra Comique pourra applaudir en fin juin.
Par Gilles Charlassier
Faust, Opéra de Lille, du 5 au 22 mai 2025 et à l’Opéra Comique, du 21 juin au 1er juillet 2025