95 ans est un bel âge pour mourir. « Je me suis battu contre une oppression, ce n’est pas pour en installer une autre ». Le pardon, malgré 27 ans de prison. C’est sans doute cela qui fit de cet homme une icône mondiale, sorte de Gandhi noir adepte de la résistance non violente qui accéda à la tête de l’Etat d’Afrique du Sud en 1994 -il n’y fera qu’un mandat, après avoir eu le prix Nobel de la paix l’année d’avant. Et qui sera inhumé dans une semaine devant l’ensemble des chefs d’Etat de la planète. Autant dire que depuis le mois de juin, toutes les rédactions étaient prêtes avec nécrologies et reportages en boîte pour saluer ce « combattant de la liberté ». Son véritable prénom Rolihlahla, signifiait « enlever une branche d’un arbre » ou, plus familièrement, « fauteur de troubles »; le système éducatif sud africain lui en imposera un autre -anglais- lorsqu’il sera le premier de sa famille à aller à l’école. Ce sera donc Nelson pour ce fils d’un chef de village déchu par les Anglais, héritier d’une dynastie royale et de sa troisième femme. La mort du père lorsqu’il a neuf ans, la fuite pour échapper à un mariage arrangé, Mandela va vers son destin qu’il rencontrera avec l’ANC et sa revendication principale: One man, one vote. D’autant que depuis la fondation de l’Union d’Afrique du Sud en 1910, la législation ne cesse d’être ségrégationniste avec une succession de lois interdisant aux Noirs d’être propriétaires de terres en dehors des « réserves » indigènes existantes ce qui provoque l’expropriation de nombreux paysans indépendants noirs, la création des tristement célèbres « townships » et la mort de 69 manifestants sous les balles de la police gouvernementale. Voilà qui lui fera prendre les armes en 1961, prenant la tête d’une guérilla en visant les bâtiments et non les hommes. Arrêté, il sera condamné à perpétuité – échappant à la peine de mort- tandis que s’ouvriront des années sombres pour le peuple noir avec une politique de séparation forcée: expulsions des populations noires au bénéfice des fermiers blancs, la population carcérale atteindra cent mille personnes, un des taux les plus élevés au monde, en grande partie d’anciens paysans noirs dépossédés de leurs terres sans aucun dédommagement pour devenir un réservoir de main-d’œuvre bon marché et parqués dans des dortoirs. Mandela passe lui près de vingt ans à casser des cailloux et étudier, y découvrant sans doute une forme de grâce, alors qu’il est contraint avec son mètre 95 de vivre la plupart du temps courbé en deux dans sa cellule. Refusant sa libération sous condition, il fêtera ses 70 ans en prison, en 1988, ce qui donnera lieu à un gigantesque concert à Wembley, tandis qu’il deviendra l’objet d’une mobilisation culturelle sans précédent; des chanteurs, avec Simple Minds et son tube Mandela day, Stevie Wonder, Miles Davies, Johnny Clegg, Bernard Lavilliers, Youssou N’Dour ou des écrivains comme Nadine Gordimer. Il sera libéré enfin en 1990, puis avec Frederik de Clerk, accèdera au pouvoir avec en 1995, l’organisation de la coupe du monde de football dont Clint Eastwood tira un fort beau film en 2010, Invictus. Un hommage à ce magnifique poème de William Ernest Henley que Mandela lisait dans sa cellule et qui est resté jusqu’à la fin de sa vie, d’actualité…
Dans les ténèbres qui m’enserrent,
Noires comme un puits où l’on se noie,
Je rends grâce aux dieux quels qu’ils soient,
Pour mon âme invincible et fière,
Dans de cruelles circonstances,
Je n’ai ni gémi ni pleuré,
Meurtri par cette existence,
Je suis debout bien que blessé,
En ce lieu de colère et de pleurs,
Se profile l’ombre de la mort,
Et je ne sais ce que me réserve le sort,
Mais je suis et je resterai sans peur,
Aussi étroit soit le chemin,
Nombreux les châtiments infâmes,
Je suis le maître de mon destin,
Je suis le capitaine de mon âme.