20 septembre 2024
Expériences sonores et visuelles au festival Aujourd’hui Musiques à Perpignan

Dans un contexte de crise économique qui fragilise l’ensemble du secteur culturel – le seul auquel on demande de faire comme si son budget ne subissait pas l’inflation – l’édition 2024 du Festival Aujourd’hui Musiques à Perpignan se recentre sur la dynamique du Théâtre de l’Archipel, conçu par la nouvelle directrice artistique, Jackie Collet-Surjus, comme un creuset de rencontres artistiques. C’est le pari du concert multimédia du Trio ACJ, nouvelle formation réunissant Roland Auzet, metteur en scène qui révèle son visage d’instrumentiste aux percussions, Médéric Collignon, à la voix, au cornet et au sax, et Pierre Jodlowski à l’électro, avec des projections vidéos de Wilfried Wendling, sur la scène du Carré, idéale pour des projets qui s’échappent des cadres formels habituels.

Le programme est construit à la manière d’une improvisation collective, mettant en avant, tour à tour, les trois musiciens, à partir d’idées et de motifs schématisés pour chacun par quelques signes sur une feuille de papier. De la performance qui n’est pas avare de décibels, on retiendra le crescendo percussif sur la boîte en bois, les griffures électroacoustiques impulsées par un geste que prolonge un crayon tactile, traduites, avec une réactivité quasi immédiate, dans des fulgurances numériques, ou encore la virtuosité théâtrale du vocaliste, revisitant, avec les cuivres, les frontières du jazz et de la « musique contemporaine », dans un enthousiasme communicatif. L’écriture commune, sans cesse en mouvement, portée par l’évidente maîtrise des quatre artistes dans leurs pratiques respectives, s’affirme d’abord comme un essai complice où les trois solistes se distinguent par une énergie à laquelle le public ne reste pas insensible, sans tout à fait parvenir à une unité reconnaissable, dans cette première étape d’une création que l’on devine in progress.

Hypnotisme de Riley version bagad interceltique

Le lendemain, sur la scène du Grenat, Erwan Keravec, et les 20 Sonneurs de la compagnie Offshore, revisitent pour cornemuses, binious et bombardes, l’une des œuvres fondatrices du minimalisme américain, In C de Riley, et qui est, présenté dans les formats les plus divers, l’un des grands classiques du Festival Aujourd’hui Musiques. L’adaptation qu’en réalise le musicien breton, qui, comme les autres de l’ensemble, viennent de l’univers des bagads, réinventent l’effet hypnotique des 53 motifs articulés autour de la même note, le do, sur une pulsation inlassablement répétée. Dans l’immersion acoustique des spectateurs sur le plateau, qui peuvent rester immobiles ou déambuler dans l’espace à leur gré, les sonorités puissantes et mordantes des instruments celtiques accentuent le vortex de reprises, tuilages et décalages qui happent littéralement l’auditeur. Si dans le maelström, on peut identifier certaines séquences au fil du travail sur les textures orchestrales, certains aplats extatiques semblant conduire vers une coda trompeuse, l’expérience proposée s’inscrit ainsi dans les recherches méditatives des minimalistes sur la fonction musicale comme déconnexion mentale grâce au remplissage de la conscience perceptive par la pulsation sonore – à l’inverse de la musique d’ambiance qui induit un état physio-psychique en occupant le seul champ inconscient. Le succès auprès d’un public large et tous âges démontre combien Riley est devenu une référence intemporelle.

Les vignettes sonores de Vaudeville

La troisième soirée de l’édition 2024 d’Aujourd’hui Musiques couverte par notre reportage est une reprise d’une création donnée pendant la crise sanitaire – avec les contraintes de distances diverses contrariant l’échange immédiat qui fait tout le sel de l’expérience culturelle. Commande de L’Archipel élaboré au cours d’une résidence artistique à la scène nationale de Perpignan, le concert dessiné Vaudeville emmène les spectateurs du Carré dans un voyage sonore et visuel hétéroclite, comme la vie elle-même. La première partie invite à s’affranchir des tensions de la journée, avec le tempo immersif de la création musicale et électroacoustique en temps réel de Christoph Ruetsch, et les jeux de lumières dans la scénographie décantée de Christophe Bergon – des panneaux sur lesquels sont projetés les dessins, qui esquissent d’abord ce qui ressemble à l’activité foisonnante d’une grande avenue sous la nébulosité d’une grande métropole, avant que la superposition des saynètes ne finisse par saturer l’image jusque dans un geste pollockien. Mais c’est sans doute la performance vocale de Loïc Varanguien de Villepin, qui libère tout le potentiel théâtral de l’imagination graphique de Vincent Fortemps – également à la guitare électrique. Le comédien et contre-ténor mêle les bruits quotidiens, de la radio aux annonces en gare, avec des relectures de thèmes du répertoire classique ou de la pop, composant une mosaïque de la banalité du monde, à la fois jubilatoire et mélancolique. Défendu avec une virtuosité stupéfiante, ce bric-à-brac de vignettes sonores dissout les frontières entre l’ici et l’ailleurs, entre le présent et la mémoire, dans l’esprit d’Aujourd’hui Musiques et du Théâtre de l’Archipel, creuset de rencontres des imaginaires.

Par Gilles Charlassier

Aujourd’hui Musiques, Théâtre de l’Archipel, Perpignan, du 15 au 24 novembre 2024. Spectacles des 16, 17 et 18 novembre 2024

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