L’usage veut que les fêtes se passent sous le signe de la légèreté et de la bonne humeur. Le Grand-Théâtre de Genève n’y déroge pas et propose cette année une opérette de Arthur Honegger aussi délicieuse que méconnue : Les Aventures du Roi Pausole, inspirée par le roman éponyme de Pierre Louÿs.
Pausole est roi de Tryphême et possède trois cent soixante-cinq femmes, une pour chaque jour de l’année, et gardées par le Grand Eunuque Taxis. Aujourd’hui c’est le tour de Diane à la Houppe, surnommée ainsi pour son abondante toison. Mais la disparition de l’unique héritière du royaume, la Princesse Aline, aux bras de Mirabelle, danseuse étoile du ballet invité pour le divertissement du souverain, va contrarier cet agenda. Arrive alors Giglio, le valet libertin qui va pousser Pausole hors de sa torpeur lascive à la poursuite de sa fille. Dans une auberge puis un grand hôtel de Tryphème, les sentiments et les couples vont alors joyeusement valser au gré de savoureux quiproquos et calembours. Car le livret d’André Willemetz – dramaturge qui fit avec Henri Cristiné les beaux jours de l’opérette française de l’entre-deux-guerres – est une merveille d’esprit généreusement espiègle voire licencieux mais jamais vulgaire. A l’image d’une musique élégante et raffinée qui mêle recettes du répertoire bouffe et du music-hall, accents de jazz – trompettes avec sourdine wa-wa – à une écriture subtile puisant dans la meilleure tradition française, de Delibes à Ravel – le choeur de la première scène rappelle vaguement le duo des fleurs de Lakmé.
Un spectacle pétillant
Pour mettre en scène ce bijou d’invention et de poésie qui oscille « entre le rêve et la réalité » – tels sont les mots de la fin – on a fait appel à un Suisse, Robert Sandoz, qui fait ses débuts sur la scène du Grand-Théâtre. Dans un lumineux et intemporel décor de panneaux coulissants dessiné par Gian Maurizio Fercioni, on se régale d’un humour pétillant comme ces reines en tenue de Miss France avec leur maillot et leur écharpe bleue au nom d’une fête du calendrier – du Nouvel An au Premier Mai – ou ce défilé révolutionnaire qui rend soudain si proche l’insouciante France de 1930 où la crise n’avait pas encore fait ses ravages et la Suisse d’aujourd’hui, refuge pour les exilés fiscaux. Rondement menée, la direction d’acteurs fait venir le sourire aux lèvres, disposition idéale à la solidarité du Sabot de Noël en faveur des artistes en difficulté, tradition que nos intermittents nous envieraient bien.
Et que dire d’un plateau emmené par le vétéran Jean-Philippe Lafont, comédien consommé en Pausole, où l’on applaudit le fougueux Giglio de Loïc Félix, le non moins désopilant Alexandre Diakoff en Métayère de l’auberge et le Taxis pincé de Marc Milhofer. Les femmes n’ont rien à envier à ces messieurs : Sophie Angebault, Aline aussi Blanche que gourmande ; Lamia Beuque, parfaite d’ambiguïté sexuelle ; Ingrid Perruche, Diane joliment acide, tout comme la Dame Perchuque irrésistiblement revêche par tant d’abstinence contrainte. Sans oublier la direction de Claude Schnitzler, parfaitement calibrée, qui emmène l’Orchestre de la Suisse Romande et les choeurs du Grand-Théâtre avec une jubilation communicative. A deux pas des pistes de ski, Les Aventures du Roi Pausole constituent un antidote idéal à la morosité ambiante.
Par Gilles Charlassier
Les Aventures du Roi Pausole, Grand-Théâtre de Genève, jusqu’au 31 décembre 2012