C’est avec Cosi fan tutte, démonstration de l’inconstance des sentiments qui referme la trilogie Da Ponte/Mozart que Jean-Paul Scarpitta tire sa révérence à l’opéra de Montpellier – Valérie Chevalier qui a été nommée en décembre, première femme à la tête d’un opéra national en France, prendra ses fonctions au 1er janvier 2014. Sans jamais se départir de la veine glamour qui caractérisait autant ses Noces que son Don Giovanni présentés la saison précédente, le directeur de l’opéra de Montpellier livre une production une mise en scène toute en élégance.
Immuable fond bleu aux tons doucement crépusculaire comme ceux d’une morale revenue de toute illusion, robes aux couleurs pulpeuses qui accrochent le regard, blanc des costumes des jeunes gens naïfs qui contraste avec le machiavélique noir de Don Alfonso, on a affaire à un visuel de papier glacé, à l’image des portraits de leurs amants que les demoiselles compulsent dans les magazines. Le décor minimaliste se réduit à quelques chaises empruntées chez Dior, tandis que les éclairages d’Urs Schönebaum réservent de belles trouvailles, à l’image des chœurs plongés dans la pénombre, tels des ombres chinoises. Tout au long de la – longue – soirée, cette habile démonstration philosophique peine cependant à créer une authentique alchimie théâtrale.
La revanche des femmes
D’autant que Mozart est ici joué dans son intégralité, à rebours des habituelles considérations d’efficacité dramatique. Ainsi entend-on le très rarement joué air à vocalises de Ferrando « Ah lo veggio, quell’anima bella ». Encore aurait-on pu accepter le sacrifice de l’action si l’interprète était à la hauteur. Hélas, les louables efforts de style et de musicalité dont fait preuve Wesley Rogers ne peuvent masquer les limites des moyens vocaux, à la peine dans les aigus et prématurément à bout de souffle. Si l’on peut applaudir le Gugliemo matamore d’Andrès Schuen, on préférera oublier le Don Alfonso composé par Antonio Abete. Non content de promener sur la scène son timbre grisâtre, sa voix s’engorge et se perd dans une justesse souvent discutable.
L’on trouvera heureusement consolation chez les femmes. Et en premier lieu avec Marianne Crébassa, ancienne pensionnaire de l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Paris et ici chez elle dans sa ville natale. Impossible de résister à cette Despina haute en couleurs, agile et douée d’un admirable sens dramatique – quand bien même d’aucuns pourraient attendre un soupçon de clarté supplémentaire pour le rôle. Presqu’aussi impeccable se révèle la Fiordiligi charnue d’Erika Grimaldi, qui restitue remarquablement les tiraillements du personnage. Virginie Pochon incarne quant à elle une Despina vive, généreuse, ingénieuse sous les déguisements du notaire et du médecin, et d’une rondeur appréciable en comparaison des colibris que l’on y distribue habituellement. On saluera enfin la baguette animée, quoique presque mécanique ça et là, d’Alexandre Shelley, au fait des tempi enlevés désormais de rigueur dans Mozart, sans oublier les chœurs préparés par Noëlle Gény.
GL
Cosi fan tutte, Opéra de Montpellier, jusqu’au 9 janvier 2014