Alors que le Châtelet programme actuellement A Flowering tree, (après Nixon en Chine que les parisiens ont ainsi pu redécouvrir il y a deux ans), le compositeur John Adams s’invite à Strasbourg avec Docteur atomic, qui, en revenant sur premiers essais atomiques à Los Alamos, fait entrer l’histoire contemporaine dans l’univers parfois compassé de l’opéra. D’autant qu’avec Peter Sellars aux commandes pour le livret, on ne pourra faire l’impasse sur l’engagement social et politique. Ainsi en est-il de cet opéra qui retrace la mise au point de l’arme nucléaire par un certain Robert Oppenheimer afin de mater les japonais. Créé en 2005 à San Francisco, l’opéra s’est rapidement inscrit au répertoire des grandes maisons, à l’instar d’Amsterdam ou encore du Met qui le joua en 2008 dans une production que les écrans des cinémas ont relayé de part le monde, mais attendait toujours d’être représenté en France.
Enfin en France
C’est maintenant chose faite à Strasbourg, avec une mise en scène de Lucinda Childs, mythique chorégraphe de Bob Wilson qui avait réglé les mouvements de la création de Doctor Atomic, réalisée par Peter Sellars lui-même. Dominée par des projections de calculs et une énorme boule suspendue et menaçante, la scénographie de Bruno de Lavenère résume bien l’atmosphère de tension et d’excitation de cette épopée scientifique et militaire – le jeu de fumées et de lumières dessine les conditions météorologiques du no man’s land. Mais si la compilation de sources historiques se trouve respectée – peut-être à l’excès –, la caractérisation des personnages ne suit pas toujours et repose sur les épaules des interprètes, tandis que les ballets assument une fonction illustrative, à l’image de la position à laquelle semble s’être tenue Lucinda Childs.
Se distingue particulièrement Peter Sidhom, qui souligne avec force l’impatience du général Leslie Groves – on entend la pratique du répertoire wagnérien dans la solidité vocale et le sens du théâtre de celui qui fut un remarquable Alberich à la Bastille. Robert Bork affirme une belle présence en Edward Teller, tout comme Brian Bannatyne-Scott – Jack Hubbard. Si l’on apprécie Martin Miller et John Graham-Hall, respectivement Robert Wilson et le capitaine James Nolan, on retiendra la généreuse rondeur de Jovita Vaskeviciute qui réserve en Pasqualita une bonne plus hispanique que nature, tandis que sa maîtresse, Kitty Oppenheimer, résonne de manière opulente grâce à Anna Grevelius.
Intensité lyrique
Quant au rôle-titre, Dietrich Henschel le confine à une nervosité tabagique dans des costumes clairs de dandy un peu sur le retour, vieillissant prématurément le personnage, même si l’allure dégingandée à la Jacques Tati ne jure pas avec les photos du physicien. S’il est inévitable de noter les altérations de la voix – entre autres une montée dans l’aigu ça et là difficultueuse –, il n’en reste pas moins que, sans y atteindre l’impact d’un Gerard Finley, le grand air sur lequel s’achève le premier acte sur un sonnet de Donne (« Batter my heart ») constitue, par son écriture lyrique qui contraste avec le foisonnement rythmique de l’introduction orchestrale, un des grands moments de la soirée, et une page qui a justement contribué au succès de l’ouvrage.
Il faut enfin saluer le travail des chœurs, préparés par Sandrine Abello, et la direction précise de Patrick Davin à la tête d’un Orchestre symphonique de Mulhouse dont on sent la volonté de dépasser l’effort requis par une musique plus exigeante que ne le laisserait accroire son accessibilité pour le spectateur.
GL
Doctor Atomic – Opéra du Rhin, Strasbourg du 2 au 9 mai 2014 et à Mulhouse le 17 mai 2014 ; enregistré par Culturebox et Medici Tv qui l’ont diffusé en direct le 6 mai.