Construit par Frank Gehry, le Walt Disney Hall compte depuis plus d’une décennie parmi un des incontournables de Downtown LA, qui est redevenu à la mode ces dernières années, après s’être longtemps résumé à un quartier d’affaires laissé aux sans-abri la nuit tombée. C’est dans cette salle de concert, qui attire autant les mélomanes que les curieux d’invention architecturale, que le Los Angeles Philharmonic Orchestra a des quartiers. A la tête de l’une des principales phalanges de la côte ouest depuis 2009, Gustavo Dudamel, défend un vaste répertoire, qui n’oublie ni la musique contemporaine, ni les compositeurs américains – à l’honneur entre autres dans le panorama auquel nous avons assisté le mois dernier. De manière éloquente, le chef vénézuélien avait ouvert son mandat avec la création de City noir de John Adams. Mais son engagement pour les œuvres d’aujourd’hui, sans préjugés esthétiques au demeurant, ne se limite pas à l’événement de la première mondiale.
Commande du LA Philharmonic créée en octobre 2018, Sustain d’Andrew Norman revient ainsi à l’affiche en ce début novembre, sous la même baguette enthousiaste envers ce panorama sonore inspiré par la conscience de l’urgence écologique de notre temps. Distillés d’abord au piano, les légers arpèges initiaux amorcent une traversée musicale qui enveloppe l’auditeur, où la plastique se fait à l’occasion lancinante, avant un crescendo vers un maelström rythmé et nerveux qui brasse l’ensemble des pupitres. Le motif augural revient, comme une scansion vers une autre vague, avant de refermer la partition, un peu plus d’une demi-heure après les premières notes, sur les échos des violons aux confins du silence. Au-delà du propos, on ne pourra qu’être sensible à une maîtrise des textures et des couleurs orchestrales, habilement décantées par l’interprétation. Accessible et évocatrice, l’écriture s’abstient cependant des accents de la trivialité et de la sentimentalité.
Création contemporaine et raretés à l’orgue
Après l’entracte, Gustavo Dudamel et ses musiciens se tournent vers la Symphonie n°4 de Bruckner, en mi bémol mineur, dite Romantique. On apprécie l’éclairage des séquences solistes et la délicatesse ciselée des piani. Le dessin des tutti, enveloppés parfois dans un discret rubato non dénué d’un peu de pathos, avec quelques larmes d’alto, se révèle parfois moins précis. Si les trompettes brillent d’un éclat ça et là invasif, c’est dans le dialogue des pupitres d’harmonie que la souplesse de la direction se montre le mieux inspirée, servant tout particulièrement les beautés de l’Andante. Après un Scherzo habilement contrasté, le finale se révèle un peu plus inégal, sans pour autant compromettre une lecture équilibrant expression et sens dynamique de l’architecture.
Comme cela est l’usage, le dimanche soir est dévolu à l’orgue. Janet Parker-Smith défend un programme éclectique, balayant trois siècles de musique, où Bach et son époque alterne avec des pages romantiques et plus contemporaines. Après l’adaptation d’un choral de la BWV 79 par Virgil Fox, la Fantaisie en la majeur de Franck déploie ses harmonies denses. Un Prélude de Krebs, musicien du dix-huitième siècle est mis en regard de la puissante et solennelle Marche pontificale de la Symphonie pour orgue de Widor. La Nativité de Jean Langlais offre une halte avant la foisonnante Sonata Eroica de Joseph Jongen. Après l’entracte, la brève Toccata alla Rumba d’Andreas Willscher porte l’empreinte de Bartok. La transcription de l’Orpheus de Liszt par Jean Guillon distille une belle intériorité. La Rhapsodie sur le nom de Lavoie de Denis Bédard se caractérise par une remarquable variété de procédés en à peine huit minutes. A la transcription que Paul Fournier a réalisée du mouvement symphonique de Duparc Aux étoiles succèdent les Variations sur Adeste fideles, une page d’une quinzaine de minutes de Gaston Marie Dethier qui confirme les moyens et la curiosité encyclopédique de l’organiste britannique, dans un florilège qui enrichit de manière bienvenue l’approche d’un répertoire souvent méconnu.
Par Gilles Charlassier
LA Philharmonic, Los Angeles, novembre 2019