Figure essentielle du bel canto, Rossini pourrait aussi être revendiqué par les féministes. Plusieurs de ses ouvrages donnent le beau-rôle à une héroïne, et ce dès le premier grand chef-d’oeuvre du compositeur italien, L’italienne à Alger, dans lequel Isabella, va mener par le bout du nez bey d’Alger qui retient son amant et ses amis, afin de les libérer.
Dans une coproduction avec l’Auditorio de Tenerife, le Teatro Comunale de Bologne met en avant une distribution composée de jeunes solistes de la Scuola dell’Opera de l’institution italienne, dans le cadre du projet Opera Next. Conçue par Giorgia Guerra, la mise en scène s’appuie sur les décors de Monica Bernardi, aussi colorés que les costumes de Lorena Marin, pour une lecture alerte de l’opus rossinien. Le plaisir du théâtre est relayé par celui de gosiers, où la souplesse du style se conjugue à la fraîcheur. Dans le premier des deux plateaux vocaux qui alternent au fil des six représentations, Maria Ostroukhova équilibre versatilité sanguine et couleur du timbre, face à lesquelles le Mustafa solide de Matias Moncada Albarran ne peut rester insensible, en calibrant habilement la vis comica du personnage. Milos Bulajic affirme le lyrisme de Lindoro, tandis que Gianni Giuga se glisse sans peine dans les habits de Taddeo. Inés Lorran Millan cisèle les minauderies d’Elvira, aux côtés de la Zulma de Sophie Burns, quand les interventions de Haly reviennent à Francesco Samuele Venuti. Sous la direction de Nikolas Nägele, les effectifs orchestraux et choraux de la maison participent à la vitalité de cette Italienne à Alger placée sous le signe de la jeunesse.
De Bologne à Bad Wilbald
Une semaine plus tard, c’est une autre héroïne rossinienne que l’on vient entendre, à Bad Wilbald, Mecque germanique des aficionados du Cygne de Pesaro. Si elle n’apparaît plus dans le titre de la version originale, Corradino cuor di ferro, Matilde di Shabran, qui a donné son nom à la mouture remaniée pour Naples, est une autre figure de femme forte, qui fera plier le tyran. La mise en scène proposée par Stefania Bonfadelli concilie les exigences de la dynamique narrative et celles de la transposition de l’intrigue et du château dans les locaux du Corradino Tagesspiegel, sans oublier les ressources humoristiques. Le résultat s’avère plaisant et lisible, entre exubérance dramaturgique et sensibilité. Dans le rôle éponyme, on applaudira l’agilité et la musicalité virtuose de Michele Angelini. En Matilde, Sara Blanch constitue l’autre grande incarnation de la soirée, avec une évidente maîtrise des moyens et une couleur vocale expressive, et affronte sans peine toutes les difficultés de la partition. Le reste des solistes ne dépare pas, depuis l’autorité du Ginardo de Ricardo Seguel jusqu’à l’Edoardo ample et délié de Victoria Yarovaya, en passant par le sonore Isidoro de Giulio Mastrototaro et l’assurance d’Emmanuel Franco en Aliprando, sans oublier le Raimondo Lopez de Shi Zong et la Contessa d’Arco de Lamia Beuque, récipiendaire d’une bourse de l’Akademie BelCanto comme Julian Heano Gonzalez, auquel sont dévolues les répliques d’Egoldo et de Rodrigo. Les limites acoustiques d’une salle aux dimensions modestes se font sentir dans la direction enjouée de José Miguel Pérez-Sierra, ainsi que dans les interventions du Gorecki Chamber Choir. On n’en retiendra pas moins une belle redécouverte dans l’autre creuset de la passion Rossini.
Par Gilles Charlassier
L’italienne à Alger, Bologne ; Corradino, Bad Wilbald, juillet 2019