12 février 2019
Courchevel, la honte

 

« Devenez les hôtes privilégiés d’adresses synonymes de bien-être, de dépaysement, de luxe sans ostentation ». Voilà ce que l’on peut lire dans la « philosophie » de la Maison Tournier, propriétaires de quatre hôtels de luxe à Courchevel et du très chic Cap Horn, bar restaurant situé au dessus de l’altiport où jet privés et hélicoptères se posent tout au long de la saison. Là, une dizaine de jéroboam de Pétrus attendent les clients russes servis par des saisonniers auxquels la famille Tournier, seigneurs de Courchevel offrent le gîte à condition d’accepter d’être à six par chambre comme dans l’immeuble Isba. Le 20 janvier dernier, un incendie s’est déclaré au second étage de cet immeuble qui abritait une soixantaine d’employés travaillant pour Eric Claret-Tournier dont le chiffre d’affaire de sa société s’est élevé en 2017 à 8, 7 millions d’euros. Bilan: deux morts, une femme de 32 ans née à Mayotte, et un quinquagénaire originaire de Roubaix. Quatre personnes ont été grièvement blessés dont une jeune fille qui a eu la colonne brisée en sautant pour tenter d’échapper au brasier; d’après son père interrogé par Libération, «Seule l’issue de secours du premier étage s’est ouverte, à force de taper dessus ; celles des étages supérieurs sont restées fermées. Il y avait des détecteurs de fumée dans certaines chambres mais aucun n’a fonctionné. Aucune alarme incendie. Les extincteurs ne fonctionnaient pas, la lance à incendie n’était pas alimentée en eau. Il n’y avait ni plan d’évacuation ni consignes de sécurité dans les chambres.». Un autre occupant témoigne au Dauphiné Libéré :«Heureusement que l’on a été réveillé car il n’y a pas eu d’alarme incendie. Des personnes ont tenté d’utiliser les extincteurs mais ils ne fonctionnaient pas. Il faut savoir aussi qu’il n’y avait pas de détecteurs de fumées dans les chambres ni dans les couloirs.»

La plus grande concentration au monde d’hôtels cinq étoiles

Au rez de chaussée de l’immeuble, la boutique Chanel avait installé quelques semaines avant, pour fêter dignement le Noël orthodoxe, C H A N E L en lettres de sapin. La station affichait complet avec, pour la nuit du Nouvel an, une unique chambre double libre dans un quatre étoiles à 2000 euros la nuit, sans le petit déjeuner. Avec deux palaces- Le Cheval Blanc, propriété de LVMH et les Airelles, onze hôtels cinq étoiles, dix quatre étoiles- jetez un coup d’oeil– la station des Alpes concentre au monde le plus grand nombre d’hôtels de luxe. Aspen aux Etats Unis, Saint Moritz en Suisse passeraient pour des bouges à côté. La rue principale, la Croisette,  s’est transformée en dix ans en avenue Montaigne avec Dior, Louis Vuitton, Loro Piano, Bulgari, Fendi, toutes propriétés de LVMH auxquels s’ajoutent Prada, Cartier, Valentino, Rolex, Ebel, etc. Au célèbre bar historique Le Tremplin, on peut partager à plusieurs un plateau de langoustines pour 1200 euros, sans doute servis par un des 5 000 saisonniers dont seuls 13% sont logés par la ville. Les autres se débrouillent dans cette station où le moindre m2 est valorisé pour les locations saisonnières. A une cinquantaine de km, Val d’Isère est une station plus sportive, moins bling bling- trop froide pour les Russes. Là entre la quartier de la Daille, et le vieux village, une longue route droite accueille des mobil-homes. Loin d’être des gens du voyage, ceux qui les occupent sont des saisonniers qui veulent économiser le peu qu’ils dégagent sur une saison. « Avant on pouvait se payer un voyage au soleil avec ce qu’on gagnait mais maintenant, en trimant tous les soirs jusqu’à deux heures du mat-fin du service dans la plupart des bars- on peut à peine rentrer dans nos frais.  » Peter, 25 ans, fan de surf, sait comme tous ses voisins les risques qu’il prend avec son chauffage d’appoint. « Mais en payant 800 euros par mois un studio comme d’autres, ça garantit pas contre l’incendie » soupire t’il en rappelant que chez les saisonniers de Val d’Isère, tous se souviennent qu’en février 2014, une quarantaine de saisonniers ont failli brûler dans l’incendie de la résidence Jardins de la Balme, une femme s’était grièvement blessée en sautant du 5e étage de l’immeuble en feu. Cinq ans plus tard, l’histoire se répète même si d’après les enquêteurs, l’incendie à Courchevel serait criminel. Les vrais coupables, eux, ne seront pas inquiétés.

par April Wheeler

 

Eric Tournier- Claret, un des héritiers de la famille Tournier, 8,7 millions de CA en 2017, pas assez pour mettre extincteurs et détecteurs de fumée dans le taudis qu’il louait à ses saisonniers

La boutique Chanel, n’a pas été endommagée par l’incendie- les Russes respirent…

Ni le bar restaurant le Tremplin qui a troqué ses célèbres abats jours en macramés aux écrans géants, DJ et vin chaud à 15 euros

Au Cap Horn, propriété du groupe Tournier, les clientes russes viennent…

En hélicoptères ou en jet privé de l’Altiport juste voisin

La vitrine de Louis Vuitton donne dans l’élégance…

 

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