Après la Condition Féminine, vous voilà donc à l’Education. Toutes mes félicitations: pour la première fois une femme, qui plus est jeune et parfait exemple de ce que peut être l’ascenseur social (musulmane, née au Maroc, dans une famille de sept enfants, père ouvrier immigré dans le bâtiment), la nomination est tout aussi généreuse que prometteuse. Mais la tâche ardue, avec cette rentrée sous le signe de la généralisation à toute la France de « votre » réforme des rythmes scolaires. Loin du racisme effrayant des rumeurs qui vous prêtent d’avoir donné la consigne d’imposer une heure d’arabe en activités périscolaires ( sic), ma fille, elle, fait depuis ce mardi soir « couture ». Je ne doute pas que la défenderesse de la cause des femmes que vous êtes appréciera; ainsi, dans trois mois, j’aurai une jolie pochette pour ranger mes bijoux m’a promis ma fille de 9 ans avec un grand sourire. Elle aurait pu faire anglais (contrairement à Paris où les langues étrangères ne sont accessibles qu’en cours privés) mais il n’y avait que dix places, prises d’assaut dès le mois de juin. Mon fils a quant à lui hérité d’un atelier « ping-pong »- il a eu la dernière place, d’autres enfants n’ayant rien.
L’occasion de conserver son jogging et ses tennis qu’ils portent tous deux, deux jours pleins dans la semaine, vu qu’il n’y a pas de pièce pour pouvoir se changer dans leur nouvelle école, par ailleurs très bucolique -une vraie carte postale, les poux en prime. La campagne, nous en rêvions, en imaginant que la proximité de Paris nous assurerait le privilège de garder ce que nous y avions-une école publique quasi-irréprochable et la chance de pouvoir jouir d’un confort de vie comme de l’espace (avec une vraie chambre pour eux), chose que seuls les Parisiens les plus aisés peuvent désormais encore s’offrir-gouvernement socialiste ou pas. Las, ici la cantine dépend de la commune, forcément chiche (les poubelles, c’est une fois par semaine) et donc se paye. Cher. Et au début du mois s’il vous plaît. On pourrait se consoler en se disant que dans un lieu où la terre est plus présente que le bitume, on y gagnera toutefois au change…Raté, Paris et leur ancienne école publique est devenue en trois repas le paradis perdu, côté assiette.
Il y avait aussi là-bas ce maître comme on en fait plus- parti à la retraite cette année, une directrice habitée par sa fonction et pétrie d’humanité et d’intelligence, et le soir, un temps de garderie avec étude. Les devoirs étaient faits, la soirée appartenait aux parents et aux enfants, même si réduite à tenir dans de pauvres petits mètres carrés. Faute de personnel, dans cette école « de campagne », l’étude a été cette année supprimée. « Pas le droit de les aider » m’a dit la dame souriante qui surveillait des garçons bruyants dont le mien, envoyant ce mardi soir des légos à travers toute la pièce. « Ils peuvent travailler mais en hiver avec le bruit de ceux qui jouent en étant à l’intérieur, ce n’est pas évident » rajouta-t’elle. Dehors, avec ce soleil enfin généreux, les filles jouaient à chat perché: au moins l’égalité des sexes est-elle respectée me suis-je dit. Tous les enfants affichaient des mines réjouies. Je n’ai pu pourtant éviter de sentir le désarroi monter en moi et de me souvenir de ce beau film de Bertrand Tavernier, au titre accrocheur: Ça commence aujourd’hui.
Vous l’avez sans doute vu, à l’époque, en 1999 ou sur les conseils d’un membre de votre cabinet s’ils sont compétents, depuis votre arrivée. Sinon, faites-en une priorité absolu. Le film se passait dans le Nord de la France, avec Philippe Torreton jouant un enseignant modèle, sur fond de misère sociale. Elle est dans mon nouveau village absente mais on ne peut s’empêcher d’y sentir toutefois le fatalisme qui était sous-jacent dans ce film. Ainsi, avec cette réforme, vous avez touché à quelque chose qui dépasse la simple volonté politique et que certains maires ont eu le courage mercredi dernier de dénoncer. Car, c’est une évidence que votre prédécesseur Vincent Peillon, pourtant ancien professeur n’ayant jamais arpenté les couloirs de l’ENA (où vous avez tenté à deux reprises sans succès d’entrer): ces nouveaux rythmes, les petites communes n’ont ni les moyens, ni les infrastructures pour les appliquer. Que voulez-vous, tout comme ce gouvernement auquel vous appartenez, les médias et la fiche de paye ne cessent de nous le rappeler: nous sommes un pays en récession. L’argent manque, à tous, avec l’amertume que cela peut faire naître chez les parents (dont vous « êtes » avec vos deux jumeaux âgés de six ans). Comme moi, lorsque je regarde le site de l’école privée non loin de mon village: 500 euros par mois pour deux enfants et tout semble redevenir possible-y compris qu’ils puissent à nouveau dormir le mercredi matin. Et leur offrir ainsi cette respiration imposée dans une semaine où les journées pouvaient être à Paris depuis l’an dernier et ceci dès 4 ans de dix heures! (8 heures -18 heures si garderie); petits Parisiens pourtant bien privilégiés face à cette petite fille dans la classe de la mienne qui se lève à 6 heures du matin et est récupérée par ses parents, tous deux fonctionnaires dans la Police, 12 heures plus tard. Une semaine de 35 heures faite dès le troisième jour…
Bien sûr, contre ces cas particuliers, vous ne pouvez rien. Reste qu’en obligeant toute la France à vivre la même réforme sans avoir les mêmes moyens, en supprimant l’étude gratuite à ceux qui ne peuvent se payer une nounou, un soutien scolaire ou être rentré à 17 heures, vous accentuez les inégalités. Et vous ne donnez quasiment aucune chance à ces enfants d’avoir autre chose à vivre plus tard que de passer les mêmes heures en transport en commun que leur parents à aller chercher un travail salvateur mais abrutissant, avec cette idée qu’ils n’avaient qu’à mieux travailler à l’école…