Elle danse mais ne chante pas. Curieux rôle-titre pour un opéra qui provoqua la révolution belge – en cause, le duo du deuxième acte, « Amour sacré de la patrie ». Présenté l’an passé à l’Opéra Comique, La Muette de Portici d’Auber s’invite à Bari, sur la scène du Teatro Pettruzzelli, coproducteur avec le Théâtre de la Monnaie de ce spectacle confié à Emma Dante. Après Paris,le foyer artistique du grand opéra, c’est presqu’un retour sur les lieux de l’intrigue pour cette histoire d’amour trahi au cœur du royaume de Naples : le prince Alphonse se marie avec la belle Elvire, mais ne peut effacer le remords d’avoir abuser de l’amour de Fenella, une fille de pêcheurs muette – on parlerait aujourd’hui sans doute de viol – qu’il va évidemment recroiser en ce jour de noces.
Une Muette expressive
Privée de la parole, il reste à l’héroïne une pantomime expressive, parfois excessive, qui fait songer à l’expressionnisme des films muets – ce qui n’enlève rien à la performance très physique d’Elena Borgogni. La musique, rappelant Cherubini, témoigne de son époque, et réserve quelques belles pages inspirées – retenons l’air du sommeil de Masaniello au quatrième acte qui anticipe discrètement Berlioz ou Les Pêcheurs de Perles de Bizet, chanté avec engagement par Michael Spyres ou encore la virtuosité d’Elvire servie par la brillante Maria Alejandres. Le timbre léger de Maxim Mironov, juvénile Alphonse, passe plus difficilement la rampe de la salle, refaite en 2008, à l’acoustique aussi impitoyable que la réputation du public italien, pour une fois un peu anesthésié par cette intéressante redécouverte, habilement menée jusqu’au sacrifice de l’héroïne et l’éruption du Vésuve de carton-pâte, mais que l’on ne saurait prendre pour le chef-d’œuvre qu’elle n’est pas – preuve que la négligence de la postérité n’est pas toujours totalement injuste.
Wagner rejoint le clan des Siciliens
Bicentenaire oblige, le Teatro Massimo de Palermo programme les quatre épisodes de la Tétralogie. Plutôt qu’une réflexion mythologique ou quelque fatras intellectuel, Graham Vick n’hésite pas à mettre en scène la trivialité bourgeoise de la fresque de Wagner, et ne nous épargne pas la copulation de Sieglinde et Siegmund sur le rebord de la table. Peu économe en moyens, la scénographie de Richard Hudson n’hésite pas à tirer parti des dimensions de la salle, avec entre autres l’arrivée du printemps « chorégraphié » par des couples de figurants dont il ne manque que la version lesbienne, invisible c’est connu. Il n’empêche qu’on se laisse emporter par cette débauche d’effets, walkyries mi-femmes, mi-chevaux qui valent bien les infirmières astiqueuses de Bastille, jusqu’à ce régiment de Loge(s), le dieu du feu, cigarette au bec, entourant Brünnhilde plongée dans le sommeil punitif. A défaut de véritable profondeur, le spectacle démontre une incontestable maîtrise visuelle. Réservés sur le couple des jumeaux incestueux – en particulier un John Treleaven frisant le ridicule – on admire le solide Wotan de Franz Hawlata que vient hélas gâcher une prononciation négligée, et surtout la Brünnhilde incroyablement svelte de la suédoise Lise Lindstrom. Après tant de monstres auxquels nous a accoutumés la tradition wagnérienne, il n’est jamais trop tard pour commencer un régime – deux ans n’est-ce pas le début d’une nouvelle jeunesse ?
Par Gilles Charlassier
La Muette de Portici, Teatro Pettruzelli, Bari, mars 2013
La Walkyrie, Teatro Massimo, Palerme, mars 2013