12 février 2019
Acte XIII, une main et deux poulettes

Ce dimanche matin 10 février 2019, Jean Luc Apathie, que JimlePariser avait pu croiser en groupie d’Emmanuel Macron à son meeting de Bercy- lire article– était à C’est à vous l’hebdo, sur France 5:  » Ça tourne à vide désormais ce mouvement, 60 000 personnes ce n’est pas grand chose ». La veille sur LCI, Serge July soulignait, au contraire, qu’aux « quatre images à retenir de la journée » données par le présentateur (une voiture brulée Vigipirate, un policier prenant un coup de pied, un manifestant « blessé à la main »-sic, des GJ se battant entre eux à Lyon), il  convenait d’en rajouter une cinquième: celle de la foule encore présente après trois mois de conflit- « un mouvement social dans sa durée inédit » selon l’ancien patron de Libération. 

Alors oui, sans doute, le mouvement s’essouffle -t’il depuis les 170 000 gilets jaunes du 17 novembre 2018. Le gouvernement avait imaginé qu’il ne « passerait » pas Noel, raté. Que les Français, abreuvés d’images violentes sur les médias mainstream se désolidariseraient- raté. Ils sont 64 % en ce début de février selon un sondage autonome à déclarer encore soutenir  le mouvement. Dans les cortèges, samedi après samedi, on voit beaucoup de femmes souvent mères, qui délaissent chaque samedi leurs enfants pour battre le pavé parisien; « Va nous défendre me dit ma fille de 6 ans depuis cinq samedis » s’exclamait dans un grand sourire Agathe, une jolie blonde de 30 ans rencontrée samedi 19 janvier, place d’Italie. Cette  » irréductible » comme se plait à la faire passer le gouvernement était-elle encore là ce samedi 9 février? 

Le plus fort gagne toujours

Personnellement, j’ai fait un break, avec cette impression de routine qui s’installe lors de mes reportages samedi après samedi; des manifestants pacifiques qui surfent entre antifas, blackbocks, et autres groupuscules ayant pignon sur Facebook pour « mettre le feu » face à des forces de l’ordre qui gazent-désolée, le terme n’est pas le monopole linguistique de l’Holocauste, et qui flashballent en ciblant de préférence les gilets jaunes aux casseurs. Je suis allée prendre l’air à la campagne non loin de Paris. Trois samedis sur le pont, mes deux poules, délaissées,  n’ont pas résisté au renard. Sans doute avait-il très faim; pas une plume, pas une trace de sang, juste des crottes dans le jardin de ce qui reste d’elles. Le plus fort gagne toujours comme le démontre le rejet de l’interdiction du LBD par le Conseil d’Etat, la main arrachée par une grenade de ce manifestant devant l’Assemblée Nationale, énième mutilé d’une répression légale et comme le prédisent la plupart des observateurs qui tentent d’imaginer la sortie de ce « conflit »inédit -révolte? soulèvement?-  qui échappe aux partis, aux syndicats (ce qu’a confirmé la tentative avortée de grève générale le 5 février dernier) et aux éditorialistes, payés à occuper les plateaux de chaines infos qui, lorsqu’elles n’ont pas un bon fait divers (cf incendie meurtrier de la rue Erlanger) à se mettre sous la dent, « meublent » avec des experts de tous bords censés reproduire l’Agora. Le résultat? On débat, personne ne convaincant personne comme le soulignait le génial Philippe Murray, remis au goût du jour il y a quelques années par Fabrice Lucchini:  » On convoque les grands problèmes et on les dissout au fur et à mesure qu’on les mouline dans la machines de la communication. Et plus il y a de débat, moins il y a de réel. Il ne reste, à la fin, que le mirage d’un champ de bataille où s’étale l’illusion bavarde et perpétuelle que l’on pourrait déchiffrer le monde en le débattant ; ou, du moins, qu’on le pourra peut-être au prochain débat. C’est de cette illusion-là dont se nourrit le débatteur. » On ne saurait mieux dire. 

Pour une économie respectant la « morale »

Si les « people » ont été très silencieux voire plutôt lâches depuis le début du mouvement-où est passé le jeune Bruel s’invitant chez 7/7 de Anne Sinclair pour appeler à voter contre Le Pen- réponse: il vit à Los Angeles, ne payant plus d’impôt sur la vente de son dernier album- il est heureux de voir combien d’hommes et de femmes de bonne volonté se mobilisent. Ainsi Le Seuil publie t’il Le fond de l’air est jaune regroupant une quinzaine de penseurs, économistes comme Thomas Piketti, professeurs émérites comme Pierre Rosenvallon ou encore chercheurs ou historiens. Rappelant que les gilets jaunes ont « réussi ce que trente ans de luttes sociales n’avaient pas réussi à faire », ils tentent d’analyser ce mouvement qui « loin des revendications hétérocliques » dixit Libération, que les élites, politiques et médiatiques veulent leur opposer, trouvent selon le chercheur au CNRS Samuel Hayat leur ciment commun dans la violation par le pouvoir du principe d« économie morale »; une économie respectant des règles de bon sens, les prix ne devant pas être excessifs par rapport aux coûts de production, (…) les plus fragiles-SDF, retraités, handicapés, femmes seules- devant être protégées, les travailleurs devant être justement rémunérés, les services publics être assurés et les fraudeurs fiscaux punis. Thomas Piketti, célèbre économiste rappelle ainsi que les recettes de l’iSF ont quadruplé depuis 1990 et auraient pu atteindre 10 milliards d’euros si elles avaient été optimisées. Bref que « les gros payent gros et que les petits payent petit » comme l’on pouvait lire sur une pancarte.

Minority Report

Au fil des manifestations, c’est en effet tout le bon sens populaire que nie l’élite qui ne descend plus depuis longtemps dans la rue- la dernière fois c’était pour la défense du privé en 1986 Chère  Neuilléenne? « Fachés mais pas fachos » « Les vrais casseurs sont chefs d’Etat », « Plus de banquise, moins de banquiers », le livre revient sur la comparaison avec Mai 68, rappelant qu’il n’y avait eu alors que 300 arrestations- contre des milliers aujourd’hui,  cela en ayant été écrit avant l’adoption à l’Assemblée Nationale mardi dernier de cette loi anti-casseurs que Charles de Courson, homme de droite modéré s’il en est, qualifia de retour au « Régime de Vichy ». Ainsi, on ne juge plus, on soupçonne comme dans le film Minority Report, où l’on arrête préventivement de « futurs » meurtriers. Une loi qui rappelons-le s’appliquerait ad aeternam, y compris dans des mains futures bien plus mal attentionnées que celles du gouvernement actuel.

Poutine ou Macron ? 

Car c’est une autre chose qui se dessine depuis trois mois. La menace brune. Les Américains ont une bonne expression pour cela :« You have to choose between the devil you know and the devil you don’t know »; devoir choisir entre le diable que l’on connait et celui que l’on ne connait pas. En pleine vague de populisme, entre Trump, Bolsonaro, le Brexit, la Hongrie, quid de la France? Si l’humoriste Christophe Alèvêque fait rire en disant que « Macron est aujourd’hui un psychopathe plus qu’un démocrate », les réseaux sociaux bruissent des rumeurs haineuses des trolls russes tandis que personne ne s’inquiète du financement de RT, média qui couvre sans relâche et plutôt sans reproche la crise des Gilets jaunes- il a été le seul à relayer mon interpellation de Christophe Castaner lors de l’hommage à Charlie Hebdo le 7 janvier dernier. Reste qu’avec 27 millions d’euros donnés par Poutine pour le financer, on image que l’ancien patron du KGB espère un retour sur investissement pour une dictature pas vraiment obsédée par la liberté de la presse: 350 journalistes tués en 20 ans; si j’étais une journaliste moscovite, nul doute que je serais déjà enterrée à l’heure où j’écris ces lignes.

Autre certitude,  je serais aujourd’hui au chômage si je travaillais pour Le Parisien ou Le JDD qui a longueur de semaines diffusent désormais la propagande gouvernementale. Ainsi, le quotidien de Bernard Arnault, après avoir publié un article à charge sur moi (ce que celui de Checknews a atomisé avec objectivité), a divulgué illégalement cette semaine le casier judiciaire de Jérôme Rodrigues avec l’idée « qui veut piquer son chien l’accuse de la rage ». Quant au Journal du Dimanche, propriété du Groupe Lagardère, ce dimanche 10 février, l’on peut y lire « la lettre qui accuse Nissan », en défense de Carlos Goshn, « de fausse preuves contre le député », en défense à Thierry Solère, et les « soupçons sur les enregistrements « , en défense de Benalla. Bref, Macron et les chics types!

Le feuilleton continue sur fond d’autocensure chez bon nombre de journalistes qui ne veulent pas se faire hara kiri, surtout avec leurs 180 collègues de l’Humanité qui vont bientôt arriver sur le marché. « You have to pay the bills » comme disent les Américains. Et oui, les journalistes sont comme tous les Giltes jaunes: ils ont des factures à payer à la fin du mois. 

 

Par Laetitia Monsacré

 

Articles similaires