Le très beau livre de Carole Martinez Du domaine des Murmures vient d’obtenir le prix Goncourt des Lycéens et l’on ne peut que se réjouir qu’une histoire qui se déroule aux temps moyenâgeux ait pu toucher des jeunes d’aujourd’hui . On se souvient de son roman aux nombreux prix littéraires en 2007, Le cœur cousu , qui nous avait touché l’âme par la couleur si particulière du style et par la façon dont il parlait au nôtre et le bouleversait.
De nouveau, ce charme opère, un charme vénéneux car le monde dans lequel nous entrons est ingrat, peuplé de personnages forts, immenses, à la stature de mythe, à la dimension homérienne. Le château des Murmures est aujourd’hui au bout «d’un chemin qui perce la forêt épaisse … une plaie entre les arbres» …« ce lieu est tissé de murmures, de filets de voix entrelacées et si vieilles qu’il faut tendre l’oreille pour les percevoir ». Carole Martinez offre au lecteur un monde hors du temps, puisque le XIIème siècle l’est pour nous, tout investi de ses mystères et légendes, de ses croisades et de la vie des héros comme celle des « petites gens ». Dans ce monde, les femmes sont d’importance négligeable, elles ne sont qu’un ventre permettant aux hommes de bâtir leur lignée.
Esclarmonde, à 15 ans, refuse le mariage qu’on lui impose, par une décision où elle se révèle une sœur des féministes d’aujourd’hui et d’hier, et demande à être quasiment emmurée dans quelques mètres carrés de pierres: « Le pouvoir des immobiles était grand en mon siècle. Grâce à ce réseau d’emmurées, les paroles m’arrivaient, portées par les pèlerins, transformées par les patois, les accents, les oublis des messagers ». Esclarmonde prend, ainsi «agenouillée au carrefour des vivants et des morts», un éclat exceptionnel, alors que cette vie la transforme et que se voulant libre des diktats du mariage, elle se retrouve piégée par ses propres émotions : « N’est ce pas terrible de perdre ainsi son cap en pleine traversée, de ne plus savoir où l’on va ni comment rentrer chez soi, de ne plus même comprendre pourquoi on est partie, je me suis condamnée à errer jusqu’à la mort dans un réduit de quelques pieds de large, et j’ai oublié ce que je comptais trouver entre ces murs ». En fait, du fond de sa « tombe » et grâce à l’ouverture aux autres que permet sa « fenestrelle » tendue de barreaux, Esclarmonde se trouve dans une position dominante, et inspire aux autres leurs actions jusqu’à celles de son père, dont elle va à son tour- décider de la vie…et de la mort.
Mais c’est l’amour qui la traverse, la transperce et la fait douter. Un amour beau, pur et immense comme celui que l’on a pour son enfant, un tel amour ouvrira son âme et lui permettra de se découvrir « amoureuse du ciel immense contenu dans les yeux » d’un autre.
MR