7 avril 2019
Un postillon haut en voix et en couleurs à l’Opéra Comique

Si les amateurs des plus grandes stars ont d’abord le réflexe de se précipiter à l’Opéra de Paris, ceux que stimulent les redécouvertes et les propositions originales savent désormais que c’est salle Favart que ça se passe. Ce début de printemps l’illustre à nouveau avec Le Postillon de Lonjumeau d’Adam, dont on connaît d’abord sa Giselle, au répertoire de tous les balletomanes.
Créé en 1836, l’ouvrage retrace l’ascension sociale d’un postillon, figure-pivot des diligences et relais-poste qui allaient devenir obsolètes avec le développement du chemin de fer, qu’un courtisan de passage, le marquis de Corcy, séduit par le timbre de sa voix, va détourner de ses noces avec Madeleine, afin de le faire monter à Versailles pour qu’il brille à la troupe de l’opéra devant le Roi. Cet astucieux mélange de pastiche Ancien Régime et de comédie balzacienne de l’ambition est réglé avec un gourmand sens du kitsch parodique et de la sensibilité psychologique par Michel Fau, qui s’appuie sur les cartons-pâtes d’Emmanuel Charles et les costumes chamarrés de Christian Lacroix. Dans cet attelage animé par les lumières de Joël Fabing, la fatuité des hommes, Chapelou alias Saint-Phar, comme le forgeron devenu Alcindor, sans oublier la cour contrariée du marquis, est mise en regard de la finesse habile et féminine de Madame de Latour, laquelle n’est autre que Madeleine. La scène, où, dans la pénombre, elle alterne les voix des deux conditions, pour faire tomber les faux-semblants, se révèle aussi acide que poétique.

Honneur à l’opéra français

Cette authentique maîtrise des ressources de la comédie pour moquer les travers moraux, dans le plus pur esprit d’une tradition illustrée par Molière et remontant aux auteurs antiques, est admirablement assumée par une distribution au fait du style et de la langue française. Si certains feront, comme d’habitude, la fine bouche sur le timbre de Michael Spyres, l’élégance de la ligne, la clarté de la diction et l’aisance de la voix mixte et des aigus font honneur à un répertoire dont le ténor américain est l’un des meilleurs serviteurs actuels – ses récents Berlioz en témoignent. Son incarnation investie n’ignore pas les accents parfois cabotins de son personnage. Il est au demeurant très bien entouré : le babil savoureux et délié de Florie Valiquette imprime à Madeleine une vivacité piquante que l’on retrouve dans les apprêts de Madame de Latour, et distille une belle complexité affective, entre la ruse et une lucidité teintée de pudeur mélancolique. En Marquis de Corcy, Frank Leguérinel se distingue par un jeu irrésistible, et un évident savoir-faire qui compense intelligemment l’entropie vocale, ainsi que le choix de ses rôles le confirme depuis plusieurs années. Même sous les habits d’Alcindor, Laurent Kubla ne peut dissimuler les origines frustres de Biju, le forgeron. Quant à Michel Fau, il se régale autant que nous dans les afféteries de la tutelle de Rose.
Mêlant les effectifs d’accentus à ceux de l’Opéra de Rouen, les choeurs se mettent au diapason de la direction énergique et convaincue de Sébastien Rouland, qui met en valeur les rythmes et les couleurs alertes d’une partition peut-être sans originalité décisive, si ce n’est d’offrir une parfaite synthèse entre Gluck et Rossini, entre l’opéra français et le bel canto italien. Pour une séance de rattrapage, France Musique propose une diffusion le 28 avril, et Rouen une reprise la saison prochaine.

Par Gilles Charlassier

Le Postillon de Lonjumeau, de Adam, Opéra Comique, avril 2019

Articles similaires