26 novembre 2011
The Toscaner- Un exorciste pour l’Italie?

Un spectre hante l’Italie et menace Europe. On l’appelle « spread »-la différence techniquement entre les taux d’interêt des bons de trésor européens; un monstrueux animal, à la forme d’un mollusque immense, qui s’élargit et se rétrécit en continuation,  dévorant morceau après morceau les euros que les humains gardent dans leurs poches. Hommes et femmes cachent leurs billets dans un jean ou au fond d’un sac Vuitton. Ces malheureux bipèdes craignent les pickpockets, mais ils sont impuissants face à cet horrible Mister Spread, qui arrive partout en vampirisant sans pitié l’argent des riches et des pauvres.
Le monstre a été signalé en Grèce, où un premier ministre, sous le choc des événements, s’est fait préparer un Nespresso à la ciguë pour laisser sans d’autre souffrance le monde cruel de la politique. Ensuite Mister Spread a sévi en Irlande, Portugal et Espagne. Certains ont proposé de l’émouvoir par des sacrifices humains, pratique inconnue en Europe depuis une soixantaine d’années, mais cela s’est révélé inutile, la créature au grand estomac n’ayant pas de cœur. Au Vatican, où existent des euros à l’effigie du pape, on discute sur le fait qu’il dispose ou non d’une âme. La réponse est négative.

Mister Spread n’a pas peur de l’enfer


C’est depuis le printemps 2011 que le spectre hante l’Italie a partir du printemps 2011, plein de séismes de toute nature. En mai le peuple de la Botte découvre au JT ce mot responsable de tous les maux. Ainsi, plus le spread est élevé et plus les Italiens payeront pour refinancer leur dette publique de 1.900 milliards d’euros.
En Italie l’été 2011 a vu pousser à la place des cèpes (cette année cruellement absentes de nos campagnes) plusieurs plans de rigueur, annoncés par l’ex président du conseil Silvio Berlusconi, 75 ans, entre un meeting politique et l’autre, un bunga bunga et l’autre, un procès et l’autre. Les sermons de Bruxelles, les mises en garde du « couple franco-allemand (couple très moderne, où le sexe fort est celui de la femme) et les promesses italiennes « de mettre immédiatement en place un plan de rigueur draconien » se répétaient comme un mantra tibétain pendant l’été comme pendant l’automne, à chaque augmentation du spread. A la Toussant les Italiens ont découvert d’avoir un protecteur même au septième ciel du nouveau paradis de Frankfurt-am-Mein : le compatriote Mario Draghi, désormais grand chef de la BCE. Les mauvaises langues disent que Draghi a un peu triché en limitant les achats de BTP italiens dans la période cruciale du début novembre, quand Berlusconi a été forcé à la démission face au tsunami de la spéculation contre les obligations publiques italiennes, et en relançant ensuite les achats pour soutenir le gouvernement italien composé par des technocrates et dirigé par son ami Mario Monti.

Coalition au bord du coma
Tout est possible. En effet, la politique italienne est fragile pendant la IIe République, née en 1994 sur la vague de l’enquête « Mains Propres » de la magistrature milanaise, tout comme pendant la Iere République, née de la guerre, de la Résistance et du referendum du 2 juin 1946. Le propre des nouvelles institutions aurait du être la stabilité au même temps que l’alternance politique. On a eu la seconde, mais pas la première. En 2006 la gauche a gagné, mais la coalition était trop hétéroclite pour rester au pouvoir. Elections anticipées en avril 2008 et c’est à nouveau la coalition droite-Ligue du Nord, conduite par Berlusconi,qui l’a emportée. Mais la nouvelle coalition a éclaté à l’automne 2010, avec le passage à l’opposition de Gianfranco Fini (l’ex chef de l’extrême droite, devenu un homme de centre, avec un grand clin d’œil à la gauche) et de ses amis.  Silvio Berlusconi avait déjà donc perdu une grande partie de sa majorité, bien avant la crise financière internationale. Cette dernière a tué une coalition qui était déjà depuis longtemps au bord du coma.
Pendant les jours de la transition de novembre de Berlusconi à Monti, la presse italienne a dit et répété dans toutes les langues que « l’Italie n’est pas la Grèce ». C’est vrai. Sinon elle s’appellerait encore « Magna Grecia ». Mais les Italiens sont victimes d’une crise de confiance en eux mêmes avec  cette période bizarre du crépuscule de la IIe République -après Berlusconi, qui n’est pas encore fini, on aura la troisième et on croise déjà les doigts. Malgré ce qu’affirment certains média internationaux, assez approximatifs sur la situation de la Botte, l’économie italienne n’est absolument pas en perdition. La croissance est faible, mais elle l’est un peu partout dans la zone euro. Le chômage est élevé, mais inferieur à celui de la France et encore plus à  à celui de l’Espagne. La dette publique frôle, comme on a déjà dit, les 1.900 milliards d’euros, mais celle de la France dépasse désormais  les 1.700. C’est vrai que – en relation avec le PIB – cela signifie 120 pour cent dans le cas italien et 87 pour cent dans le cas français, mais une autre considération s’impose : la dette publique italienne en relation au PIB est aujourd’hui sur les mêmes niveaux qu’il y a vingt ans, tandis que la française à explosé pendant les cinq dernières années. Donc le trend français est bien plus inquiétant que le trend italien. La preuve est dans le déficit de la finance publique, qui devrait être en 2011 de 3,9 pour cent en Italie et de 5,7 en France. Si l’Italie n’était pas obligée de payer les intérêts sur sa dette, elle aura ainsi un budget actif, contrairement à la France qui sera, de toute façon déficitaire.
Déficit de confiance

Le vrai problème des Italiens en ce début de XXI siècle est donc la confiance. On ne peut pas obtenir la confiance des autres sans se l’offrir à soi même. Aujourd’hui,  les Italiens doutes de leur représentants politiques et ils ont bien raison de le faire -même si ces hommes et ces femmes ont été élus par le peuple. Malheureusement, les Italiens doutent aussi de leurs institutions, de leur capacité de vaincre la corruption et de la possibilité de faire tomber des murs parfois insurmontables. Comme ce mur – imaginaire et au même temps bien réel – qui divise le nord du sud de la péninsule. En 2011 l’Italie a célébré « in pompa magna » ses 150 ans de vie en tant qu’Etat unitaire. Certains problèmes sont passés d’une génération à l’autre, en devenant des maladies chroniques, qui pèsent lourdement sur toute possibilité de vraie modernisation nationale. Demander au technocrates de résoudre tous les problèmes serait un peu exagéré et de toute façon impliquerait la présence au gouvernement d’un expert en exorcisme. Mais il est certain que les Italiens ont besoin d’une période de relance économique, de réflexion morale et de réconciliation nationale.  La période berlusconienne a été caractérisée par une profonde déchirure entre Italiens. Les polémiques droite-gauche et nord-sud ont été systématiquement inspirées à la méfiance réciproque et à la criminalisation de l’adversaire, parfois conçu comme un ennemi. Maintenant il fait reconstruire. Heureusement les Italiens peuvent prendre exemple des deux principaux personnages de leur récente histoire nationale : Peppone et Don Camillo. Ils se disputaient souvent, mais ils se respectaient profondément et, dans les moments difficiles, ils étaient capables de réunir leurs forces.

 

Par Alberto Toscano

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