27 décembre 2011
The Tanariver-Comment les marchands fluent et refluent

Il faut prendre au troisième ou au quatrième degré certaines affirmations du Guide de survie que Christodule vient de publier à propos de Madagascar -No comment éditions. Sous une grosse couche d’ironie, l’auteur y dévoile des pans entiers de la réalité quotidienne que les touristes ne peuvent pas comprendre sans quelques explications. Ainsi en est-il du ballet auquel se livrent un certain nombre de Malgaches dans les rues de Tanarive, la capitale. Un carton sur la tête ou un ballot sur l’épaule, ils se hâtent vers des abris discrets, à peine en quelques secondes, le temps de  nettoyer une rue dont les trottoirs étaient, l’instant d’avant, encombrés des objets les plus divers, après qu’une rumeur ayant couru, très vite, d’un carrefour à un autre,  qu’un camion manga  ait tourné le coin. Sur la benne du véhicule bleu, quinze ou vingt personnes, des hommes jeunes en général, habillés de gilets marqués CUA (Commune urbaine d’Antananarivo), prêts à sauter sur le sol pour contrôler les marchands.
Christodule décrit à sa manière le travail de la police des marchés : « Ces agents municipaux font régulièrement des descentes dans les rues pour s’assurer que les marchands de disques étalent bien leurs marchandises jusqu’au bout du trottoir ou que les voix des vendeurs à la criée respectent une tonalité préétablie par le code des marchés. »

Un butin pour les contrôleurs
Traduisons. Les pratiques musclées de la police des marchés consistent le plus souvent à ramasser toutes les marchandises qui n’ont pas été planquées assez vite, à les jeter dans la benne et, une fois celle-ci emplie, à rentrer pour évaluer le butin. Selon le règlement local, les objets confisqués peuvent être récupérés par leurs propriétaires contre paiement d’une amende. La réalité est bien différente, et Christodule la connaît peut-être. Ce qui disparaît reparaît rarement. Tout le monde a une famille à nourrir…
Il fut un temps où la capitale malgache s’enorgueillissait de posséder le plus grand marché africain. C’était le vendredi, on l’appelait d’ailleurs le Zoma -vendredi, en malgache, et il avait belle allure, avenue de l’Indépendance, avec sa floraison de parasols blancs aussi spectaculaire que celle, mauve, des jacarandas -c’est la saison de ses fleurs pour l’instant. Mais la toile immaculée, vue de loin, abritait, au niveau du sol, une hygiène très discutable. En 1997, les autorités ont décidé, à l’approche des Jeux de la francophonie, d’assainir. Non pas en aménageant les évacuations d’eaux usées, cela aurait été trop rationnel. Mais en supprimant le Zoma, tout simplement. Dans le même temps, les sans abris, qu’on appelle ici les 4’mis, devenus trop visibles et à la mendicité encombrante, étaient exportés vers la campagne.

Rixes de rues
Depuis 1997, les feux rouges de l’avenue de l’Indépendance ont très vite cessé de fonctionner, les 4’mis sont revenus et se sont multipliés, car, oui, ils se reproduisent entre eux, et le Zoma a été remplacé, les crises politico-économiques de 2002 et 2009 aidant, par un gigantesque marché permanent, totalement informel, qui a grandi comme un rhizome dans toutes les rues du centre-ville, et qui doit être à présent le plus vaste du monde. Mais il n’y a plus aucune raison de s’en enorgueillir.
Sacs chinois, chaussures de même origine, vêtements de friperie, miroirs bas de gamme, parapluies-c’est aussi la saison, tapis, tomates en pyramides de quatre, ail tressé, couteaux à usage multiple bien plus impressionnants que leurs homologues suisses, fausses montres et lunettes, ou tout ce que vous voudrez, de grande marque, disques et DVD pirates, tout s’étale et se remballe en moins de temps qu’il n’en  faut pour l’écrire. Car le camion, qui d’ailleurs n’est pas toujours bleu -ils sont futés, les agents communaux, ne fait que passer, pareil à un Moïse devant qui les eaux s’écartaient avant de reprendre place.
Le flux et le reflux souffrent néanmoins parfois de ratés dans leur harmonieux mouvement d’ensemble. Un marchand, pas assez rapide dans l’évacuation et fatigué de voir son stock disparaître sans grand espoir de retour, se rebiffe. Une bagarre éclate, d’autres se lancent dans la mêlée, il faut appeler les renforts. Ceux-ci arrivent alors casqués, armés, équipés de gilets pare-balles, la rue prend une allure martiale, les cailloux volent, les forces de l’ordre font le ménage à coups de grenades lacrymogènes, pour la plus grande joie des passants. Quelque chose arrive enfin, et c’est gratuit ! Ce n’est pas encore la révolution, mais elle a souvent commencé ainsi. Et quelques-uns trépignent d’impatience.

par Pierre Maury

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