13 février 2012
The Shangaïer- Le prix de la Real Politik

Quand Angela s’en va chercher des sous…Pressée de résoudre l’endettement de ces états qui ne savent pas tenir leurs bourses et d’apparaitre comme le chevalier blanc dans la résolution d’une crise financière bien plus embarrassante pour les populations qui la subissent que pour les dirigeants qui en parlent, Angela Merkel, avec son charme si particulier, s’en est allée en Chine la semaine dernière. Dans ce qui pourrait être le début d’une fable annonçant,  non pas la fin du monde mais le changement des pôles économiques, l’Europe est la cigale, la Chine, la Fourmi et dans le rôle de celui qui se rince quoi qu’il arrive, le système bancaire international.

L’Europe est en pleine crise, il faut rassurer les marchés, les banquiers et tous ceux qui, du haut de leurs calculatrices, notent les pays et tranchent dans le budget des états comme dans celui des familles avec une facilité que seule confère le sentiment d’impunité. Si l’UE avait besoin de la Chine dans la gestion de plusieurs crises majeures (Iran, Syrie…), le voyage de Merkel avait principalement pour objectif de rassurer Pékin sur la solidité de l’Euro et de solliciter à nouveau la participation de la Chine au fond de secours européen. Fort des 550 milliards de dollars de dette européenne que la Chine possède déjà et sachant que plus il attendra, plus il obtiendra, le premier ministre chinois, Wen Jiabao, a été remarquablement éclairant quant à la suite des évènements :«L’argent que les Chinois veulent investir en Europe n’est pas censé être de l’aide au développement mais doit s’avérer un investissement réussi, sur le plan économique et politique» (source : article d’ Handelsblatt, publié en traduction française sur  Press Europ).

Il est intéressant de relever la promiscuité de l’économie et du politique dans cette petite phrase d’un des hommes les plus puissants de la Planète. Si nous pouvons nous attendre à ce que le prix à payer pour l’aide chinoise soit couteux en termes de réparties économiques -levées de barrières protectionnistes dans l’UE, rôle plus important des pays émergents dans les décisions du FMI, prises de participations de groupes chinois dans des industries sensibles jadis protégées, il faut garder en tête, qu’en Chine, l’économie et la politique sont les deux faces d’un même masque avec de chaque côté une collusion souvent familiale.

Le 19 janvier dernier, Wang Chen, chef adjoint du Département de la communication du Comité central du Parti communiste chinois déclarait lors d’une conférence de presse que «La Chine aura une attitude plus ouverte et adoptera davantage de mesures énergiques pour faire entendre sa voix en 2012, car le pays cherche à obtenir une plus grande compréhension du monde concernant ses valeurs et son mode de développement». Ainsi, «obtenir une meilleure compréhension du monde» pourrait se résumer par : «  La Chine renforcera sa voix en 2012»(Titre de ce communiqué publié l’agence officielle de presse Xinhua). Les lecteurs avisés auront sans doute compris que pour se faire comprendre, les officiels chinois ont décidé de hausser le ton. En effet, renforcer sa voix n’implique en rien développer son écoute…

Quand les caisses sont vides…

Le même jour, Liu Wenmin, le porte-parole des affaires étrangères déclarait :«la Chine s’oppose à toutes les activités, sans exception, du dalaï-lama sur la scène internationale»(source Xinhua). Alors que le cycle répression/immolations/émeutes/répression s’accélérait dans la province du Sichuan (il y aurait eu depuis mars dernier quelques 19 décès imputables aux immolations ainsi que de nombreux blessés), que les dissidents étaient les uns après les autres condamnés à de lourdes peines de prison -l’un pour avoir envoyé sur Skype un poème appelant à plus de démocratie, et que la voix de l’ambassadeur américain Locke s’élevait pour s’inquiéter de la montée en puissance de la répression en Chine, le message, à quelques jours du voyage d’Angela Merkel, était clair : business is business, ne parlons pas des droits de l’homme.

Et, c’est exactement ce qui s’est passé. La question des droits de l’homme, de la liberté d’expression est passé pratiquement sous silence. Angela Merkel a déclarée avoir eu une conversation «franche» sur ce sujet. Il est certain qu’un échange que l’on pourrait schématiser par : « nous ne vous répondrons ni sur la répression, ni sur les morts, ni sur les dissidents, cela n’est pas votre affaire » – peut être considéré comme une réponse franche à une question précise.

Mais attention, les apparences sont sauves. L’avocat de Liu Xiaobo, prix Nobel de la paix qui purge une peine de 11 ans de prison pour «incitation à la subversion du pouvoir de l‘Etat», était convié à un repas ou il aurait pu s’entretenir quelques instants avec cette digne représentante de la liberté de penser. Hélas, quelques minutes avant que ces délicieux plats du Guangdong ne sortent des cuisines et que maints toasts ne proclament cette amitié éternelle oubliée sitôt sorti de table, cet avocat des droits de l’homme recevait à son bureau la visite de trois policiers. Impossible selon l’étiquette et la politesse chinoise de les renvoyer. Que voulez-vous, il est très malpoli de mal recevoir des policiers qui vous rendent visite, surtout en Chine. Est ce leur faute si, le temps de prendre le thé et de discuter un peu de choses et d’autres, ils ne virent pas le temps passer ? Hélas, cet avocat manqua l’occasion de discuter avec la chancelière allemande. Même couac pour le rendez-vous prévu avec le rédacteur d’un journal progressiste qu’elle devait rencontrer.

Ainsi aucun sujet de brouille n’est venu entacher la tournée VRP de dame Angela. Silence radio donc sur des sujets qui pourtant enflammèrent l’Europe (et Merkel) en 2008 lors des émeutes qui ensanglantèrent le Tibet à la veille des Jeux Olympiques de Pékin. Pourtant, malgré toute cette bonne volonté, Angela est rentrée bredouille, sans un sou. Quelques jours après, la Chine posait aux côtés de la Russie son véto à la résolution de l’Onu sur la Syrie, prolongeant ainsi de facto le long calvaire des manifestants syriens.

L’arme économique

Sans doute l’Europe s’est-elle souvenue du boycott diplomatico-économique qui entacha lourdement les relations entre la France et la Chine lorsque en 2008 le président Sarkozy, malgré de nombreuses mises en garde de la diplomatie chinoise, s’en alla rencontrer en Pologne le Dalaï Lama. Pourtant, à l’opposé des américains qui attaquent frontalement la Chine pour mieux négocier ensuite, l’Europe semble, du moins dans nos journaux, bien discrète en ce moment sur ces questions. Il est évident que la manière dont nos diplomates répondent -ou pas- à la répression que subissent opposants, croyants ou simples paysans -une étude récente de l’université du Peuple de Pékin effectuée dans 17 provinces considère qu’environ 43% des paysans chinois ont été spoliés de leurs droits lors d’expropriations- sera utilisée par Pékin comme test de la réelle importance que nous apportons aux valeurs «humaines» à l’aune de nos besoins en financement.

Un modèle à suivre…

Sans doute les gouvernants chinois sont-ils aussi conscients que de l’Occident à l’Orient les rôles se sont inversés, que d’atelier du monde, la Chine en est devenu le moteur économique, avec le pouvoir qui y est lié. Dans le contexte de la débâcle financière des nations occidentales -un grand merci en passant aux banquiers et autres fonds spéculatifs et de la montée en puissance des économies des pays émergents – dont la plupart sont des partenaires économiques privilégiés du gouvernement de Pékin- la Chine se pose non seulement comme une grande puissance, mais aussi comme celle qui n’a plus à recevoir de leçons. En fait, les dirigeants chinois ont analysé et assimilé- le contre-pouvoir démocratique en moins- le modus operandi du libéralisme débridé de nos quarante dernières années. Après tout, le modèle courant qu’adopte la Chine pour son expansion internationale n’est pas sans rappeler les meilleurs faits d’armes de l’opportunisme sans âme développé par les plus beaux fleurons de nos économies occidentales.

Quand la Chine prête aux pays émergents pour des projets d’infra-structure par exemple, l’argent prêté l’est souvent à la condition que les entreprises de BTP soient chinoises. Dans de très nombreux cas, et hormis les«cadeaux» et commissions faits aux décisionnaires et intermédiaires locaux, l’argent passe directement des banques chinoises aux entreprises chinoises chargées des travaux. Aux Etats récipiendaires de ces aides de rembourser leur dette et de renvoyer la balle sur d’autres domaines, comme les ressources énergétiques par exemple. Rien de très nouveau sous le soleil car on pourrait se souvenir de quelques zones d’influences où nous fonctionnions exactement de la même manière. L’importance du FMI, de la Banque Mondiale et autres organisations internationales dans la restructuration d’économies en difficulté n’a pas échappé à Pékin et c’est la raison pour laquelle le discours officiel insiste sur une plus grande représentativité de la Chine dans ses institutions. « La Chine peut offrir son aide, mais nous avons aussi besoin de promesses du côté européen. Celui-ci ne peut pas demander de l’aide sans prendre des mesures pour s’aider lui-même ou faire avancer la réforme (du FMI). », éclaire Liu Daokui, conseiller et membre du comité de la politique monétaire de la Banque centrale de Chine (source : China internet information center le 30 janvier). Accorder une plus grande part aux pays émergents dans les votes du FMI revient à augmenter l’influence de Pékin car les liens dont la Chine dispose dans ces pays sont d’importants leviers de persuasion…

Un circuit fermé

Le Premier ministre Wen Jiabao a de son côté déclaré pendant le séjour d’Angela Merkel que la Chine n’avait ni «l’intention, ni les moyens d’acheter l’Europe». En fait, il faut peut être comprendre que la Chine à moins l’intention de racheter la dette européenne que d’investir, directement par ses fonds souverains et indirectement par ses entreprises, dans des secteurs aussi utiles pour soutenir sa consommation intérieure que pour développer les débouchés des produits chinois en Europe. En fait, si l’Europe montre des signes de faiblesse, pourquoi ne pas distribuer directement en éliminant au passage les intermédiaires européens… Il semble probable que le gouvernement chinois utilise la carotte de la dette comme outil diplomatique afin de faciliter la prise de participation d’entreprises chinoises dans des secteurs sensibles de l’économie européenne. Parallèlement, il joue le rôle de   bailleur de fonds pour ces mêmes entreprises en leur fournissant, par le biais des banques d’état, des prêts bancaires à faible taux d’intérêt.

Accessoirement, la multiplication de ces prises de participation dans l’économie internationale, édictée dans le cadre d’un programme du Parti que l’on appelle en anglais la Going Out policy, ainsi que son pendant «culturel», le très officiel plan de développement international du «Soft Power» chinois, qui prend la forme par exemple de l’implantation de médias chinois comme le China Daily aux Etats Unis, l’établissement de centaines de centres culturels chinois de par le monde ou encore l’établissement d’un fond d’investissement dans l’industrie cinématographique à Hollywood, permettent également de sortir du pays d’importants montants de liquidités au moment ou l’immobilier et les valeurs boursières dégringolent et ou la grogne sociale se fait entendre de plus en plus violemment.

Quand la Chine remercie le FMI

Il n’est pas question ici de diaboliser les investissements chinois mais bien de savoir quels sont leurs objectifs. Ceux-ci ont le mérite d’être clairement énoncés. Ecoutons ce que dit Wei Jiafu, le PDG de Cosco, le géant chinois qui a acheté les deux terminaux du Port du Pirée : « Je suis venu redonner au port du Pirée sa position d’antan. J’espère en faire le port marchand le plus important de Méditerranée d’ici un an. » Il y a un dicton en chinois qui dit : ‘Construis le nid de l’aigle et l’aigle viendra’. Nous avons construit ce nid dans votre pays pour attirer les aigles chinois. » (Daily Telegraph, juillet 2010).

Les amateurs apprécieront certainement ce détournement d’image ou l’aigle, animal ô combien symbolique qui représente la puissance américaine dans l’imaginaire mondial, est élégamment détourné pour illustrer l’implantation européenne de l’économie chinoise… Le but est clair, l’entreprise s’appelle la Chine. Le reste, les locaux, les ouvriers, l’histoire même du Pirée, n’ont aucune importance. Seul importe le «nid» pour les aigles chinois. Avec un sourire que l’on imagine aisément narquois il conclu : «C’est le cadeau de la Chine à la Grèce»… Utiliser les ports est un outil fondamental autant pour sécuriser les acheminements de ces ressources dont la Chine a tellement besoin (matériaux, nourriture, énergie) que pour servir de plateforme pour inonder l’Europe et les Balkans de produits chinois. La messe est dite. Le gouvernement chinois doit bénir le FMI et les agences de notation de lui donner en ce moment un tel territoire de jeu.

En toute franchise …

Ce qu’il y a remarquable dans ces déclarations, c’est la franchise avec laquelle les dirigeants chinois exposent leur feuille de route. Il suffit de l’écouter ou de la lire dans les communiqués. Pourtant, sans la juger, il ne faut pas penser une seule seconde que l’attitude des dirigeants chinois soit différente en dehors de Chine de ce qu’elle est en interne. Derrière le masque et les belles images, se cache une franchise, une rudesse, une violence qui a ponctuée aux côtés de la littérature, de la poésie et de merveilleuses réalisations l’histoire de la Chine depuis sa création. Penser que cette intransigeance ne passera pas les frontières relève peut être du voeu pieux. Il faut regarder ce que 30 ans de développement incontrôlé ont fait de la Chine. La désertification est galopante, la pollution omniprésente, les inégalités de plus en plus flagrantes, les violences de plus en plus récurrentes. Si l’Europe accueille, à juste titre, des investissements chinois, elle se doit d’être, tant en terme de valeurs que de lois, d’une volonté à tout épreuve car, pour nos amis chinois, comme pour les faucons des multinationales, le long terme se compte non pas en années mais en jours, peu importe le coût pour les populations présentes et à venir…

Par Matthieu Emmanuel

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