11 novembre 2011
The Rabater-Dieu et le roi

La semaine dernière, j’ai fait un arrêt par Rabat, et plusieurs autres villes  du Maroc. Alors que les Tunisiens venaient de voter pour la première fois depuis la chute de Ben Ali, je participais à un programme d’échange culturel organisé par l’ONU. Autour de thés à la menthe, le malaise générationnel criant a eu raison des politesses théâtralisées destinées à nous vendre une image lisse de la situation politique du pays. Je ne suis restée que quelques jours au Maroc et je n’ai eu qu’un rapide aperçu du pays. Je souhaite cependant partager simplement deux éléments marquants qui semblent diviser les générations, de façon certes tacite mais assez radicale. D’une part, les jeunes marocains sont apparus comme étant aujourd’hui en proie à un profond questionnement identitaire. D’autre part, l’immobilisme de la classe au pouvoir semble tétaniser tout débat libre autour d’éventuels changements politiques. A Rabat, comme à Fez, en passant par Casablanca et Ifrane, partout où nous avons été reçus par des représentants officiels, le Maroc nous a été présenté comme un pays multiculturel, aux confluents du monde arabe, de l’Afrique, et de l’Europe. Paradoxe intéressant – d’autant plus parce qu’il apparaît comme profondément ancré dans l’inconscient collectif de l’élite au pouvoir – le ciment de cette mosaïque n’est autre que l’Islam et l’amour pour le Roi, Commandeur des croyants et descendant du Prophète. Fait frappant, aucun de nos interlocuteurs n’a été capable de définir ce qu’était « être marocain » au delà d’être musulman et monarchiste. Lorsque nous avons pu rencontrer des étudiants (à Al Akhawayn University of Ifrane et à l’École de Gouvernance et d’Économie de Rabat, deux universités réservées à l’élite) l’écart générationnel autour de l’identité marocaine nous a explosé en pleine figure.

Des jeunes qui ne jurent que par la toile

La – très saine – cacophonie a révélé deux choses. D’abord que l’identité nationale arabe et musulmane est de plus en plus perçue comme ayant été imposée par un régime qui, au lendemain de l’indépendance, a voulu s’assurer une légitimité sur les plans intérieur et géopolitique. A cela vient s’ajouter le questionnement de l’occidentalisation des classes dirigeantes, et le fait que ce processus ait survécu à la décolonisation.Ensuite, que la jeunesse éduquée, et donc probablement future élite du pays, a soif de débats et de changements politiques, tiraillée entre le conservatisme lourd des dirigeants et la modernité révolutionnaire qui secoue le monde arabe.Mais les espaces pour discuter et agir sont quasi inexistants. Une fois le meeting à l’université d’Ifrane terminé, les étudiants trainent, attendant de voir disparaître leurs « superviseurs ». Ils nous ont fait passer un mot. Ils veulent nous parler plus librement. Ils admettent alors qu’ils n’ont pas pu dire tout ce qu’ils auraient voulu dire. Et nous expliquent que le système éducatif marocain n’enseigne pas la critique. La parole du professeur doit souvent être reçue sans questionnement. Ils doivent par conséquent s’éduquer eux mêmes à la prise de parole et au débat d’idées, par le biais d’associations étudiantes et des médias sociaux. D’ailleurs, depuis les évènements du Printemps arabe ils sont tous connectés en permanence pour pouvoir réagir immédiatement aux éventuels évènements régionaux.
Si la volonté est là, les revendications sont encore vagues. Mais cette jeunesse, issue pourtant des classes riches et bénéficiant du système, veut sa liberté. Pas celle que la propagande occidentale mentionne à tout bout de champ. Une liberté de parole et d’action qui émane d’elle et qui lui ressemble. Et lui permet de se sortir de l’étau des technocrates bien pensants, colonne vertébrale du régime et méprisant profondément toute demande populaire. « Nous voulons être des acteurs du changement dans notre pays. Et nous nous préparons pour ça. »Alors,  vers un hiver marocain?

par Paloma Haschke

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