13 novembre 2011
The New Yorker-De l’usage de la torture

Pour un Français, le débat est étonnant, choquant, improbable. Est-il possible, en 2011, de discuter du bon usage de la torture? Les candidats à la présidence d’un pays démocratique peuvent-ils se prononcer pour ou contre les méthodes extrêmes d’interrogatoire dans le cadre de la défense de leur pays? En France, c’est bien peu imaginable. Aux États-Unis, ça l’est. C’est même l’un des -rares-sujets permettant de départager les candidats à l’investiture républicaine.

Lors du débat télévisé sur la politique internationale, le 12 novembre dernier, la question a été ouvertement posée aux huit postulants républicains: « Quelle est votre position au sujet de la torture? » a demandé le journaliste Major Garrett du National Journal, citant un téléspectateur, avant d’enchaîner sur une question récurrente depuis 10 ans: doit-on autoriser la simulation de noyade, le waterboarding, pour interroger les terroristes présumés? Réponses: deux candidats se sont déclarés franchement pour, quatre favorables, et deux s’y sont farouchement opposés.

Petit rappel de définition: la simulation de noyade consiste à ligoter un prisonnier sur une planche inclinée, la tête plus basse que les pieds, le visage recouvert d’un tissus sur lequel on verse de l’eau abondamment. L’entrée du liquide dans les poumons n’est pas fatale mais provoque la suffocation et l’angoisse de la mort par asphyxie. D’après les experts, la résistance au supplice n’excède pas 14 secondes en moyenne. Cette pratique a été interdite par la Convention contre la torture, votée à l’ONU en 1984 et ratifiée dix ans plus tard par les États-Unis de Bill Clinton. George W. Bush a toutefois reconnu l’avoir autorisée dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Barack Obama l’a fermement condamnée en arrivant au pouvoir. Le président américain l’a réaffirmé, au lendemain du débat télévisé des républicains: « La simulation de noyade est une torture. Nous avons bien fait de mettre fin à cette pratique ».

C’était au contraire « une erreur » estime Michele Bachmann. La seule femme candidate à l’investiture républicaine a pris, lors du débat télévisé, le leadership des pro-waterboarding. Sans hésiter, la représentante du Minnesota, pionnière du Tea Party au congrès, a plaidé pour l’usage de cette pratique «  très efficace ». L’homme d’affaires Herman Cain a lui poussé le dogme républicain: ce n’est pas à l’état fédéral de déterminer ce qui relève ou non de la torture, mais bien aux responsables militaires. Toutefois, comme le souligne le Boston Globe, s’il était élu Président, Herman Cain aurait sans doute moins envie de laisser les militaires décider seuls du mode d’interrogatoire à adopter.

Le représentant du Texas Ron Paul et l’ex-gouverneur de l’Utah, Jon Huntsman, ont, eux, pris la tête des opposants républicains à une forme de torture «  immorale », «  non-civilisée » et «  anti-américaine », selon Ron Paul, opposée « aux valeurs américaines que sont la liberté, la  démocratie et les droits de l’homme » a pour sa part déclaré Jon Huntsman, rappelant au passage qu’il avait deux fils engagés dans la Navy.

Sans évoquer précisément la simulation de noyade, trois autres candidats se sont positionnés en faveur des techniques d’interrogatoire “poussées” pour défendre l’Amérique: le gouverneur du Texas Rick Perry, l’ex-président de la chambre des représentants Newt Gingrich et l’ancien sénateur de Pennsylvanie Rick Santorum. Quant à l’ex-gouverneur du Massachusetts Mitt Romney, le favori des sondages, il a tenu à préciser, plus tard à la presse, que le waterboarding n’était pas une forme de torture pour lui, position qu’il avait adoptée quatre ans plus tôt lors de la précédente course à l’investiture. A l’époque, c’était le vétéran du Viêt Nam John McCain, adversaire du recours à la torture, qui l’avait alors remportée.
Pourquoi le débat ressurgit-il aujourd’hui? La question est en fait réapparue en mai dernier, lors de la mort d’Oussama Ben Laden. Les partisans des interrogatoires musclés ont vu, dans le succès de l’élimination du chef d’Al-Qaida, la preuve de l’efficacité de leurs méthodes. Les opposants ont, de leur côté, estimé que les techniques classiques de renseignement avaient porté leurs fruits. La question n’est toujours pas tranchée.
Les Américains connaissent désormais l’opinion, aussi choquante soit-elle, de ceux qui aspirent à gouverner leur pays. Il y a 2 ans, dans un sondage menée par le New York Times et CBS news, ils étaient 71%  à qualifier la simulation de noyade de « torture », 46% la trouvaient « illégitime » contre 37% «  justifiable ». Le sujet reste polémique aux États-Unis, mais il est abordé. Au fond, n’est-ce pas ainsi que doit fonctionner une démocratie?

par Elisabeth Guédel

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