10 décembre 2011
The Moscouer- une Révolution d’hiver ?

Personne ne s’attendait à ce qu’une vague de protestation ne déferle en Russie comme celle qui intervient actuellement à la suite des résultats des élections parlementaires. Cette vague étonne l’opposition et effraye le pouvoir. Toujours inerte et endormi, le peuple russe se réveille enfin, montrant son caractère. Et pour la première fois depuis l’arrivée de Poutine au pouvoir, il y a onze ans, les gens descendent en masse dans la rue pour dire « non » aux fraudes de scrutin- gonflé de près de 20 points en faveur du parti de Poutine.
Tout le monde savait depuis longtemps que les résultats des élections étaient à chaque fois falsifiés. Cependant, il ne suffit pas de savoir pour agir. Les sociologues, les hommes politiques et naturellement le pouvoir essaie de deviner pourquoi un mensonge de l’Etat, tout à fait ordinaire, provoque subitement une action aussi forte. La police dispersa tout d’abord les manifestants, en arrêtant une vingtaine de personnes, dès dimanche 4 décembre. Mais ce n’était que le début. Le soir du 5,  le mouvement démocratique « Solidarité » convoque un meeting près du monument au poète Alexandre Griboedov, sur le boulevard Tchistoproudny à Moscou. Les organisateurs déclarent alors à la police qu’ils attendent près de 300 personnes mais c’est entre 8 000 et 10 000 moscovites qui ont répondu à l’appel. Sur place, les policiers avaient l’air découragés et désemparés.
Je scrutais leurs visages. Ils ressemblaient aux gens qui vont à un mariage, et arrivent à un enterrement. La police ne s’attendait pas à une telle mobilisation de l’opposition. Des politiques, des poètes, des musiciens, des journalistes, des chanteurs, des activistes de la société civile ont pris la parole. Et la foule était jeune !

De l’importance des réseaux sociaux

Au Kremlin, on essaie probablement de percer l’énigme de cette croissance subite de l’activité protestataire. Et le pouvoir et ses analystes de l’attribuer, comme d’habitude, aux menées hostiles de l’Occident, Etats-Unis en tête, et à l’argent distribué par des fondations occidentales. Mais en réalité, l’explication est toute simple : la coupe est pleine et a débordé. L’amoncellement des mensonges officiels quotidiens atteint ce point critique où il n’était plus possible de se taire.

L’un des leaders de l’opposition démocratique, Boris Nemtsov, lance au courant de ce  meeting improvisé: « Grâce à Internet, nous disposons de milliers de preuves vidéo sur le vol des voix. Nous allons créer un groupe de juristes au sein de « Solidarité » qui exigera de mettre ces bandits en prison. Ils doivent répondre de leurs actes».
Le leader du Parti républicain, qui n’a plus d’existence légale à cause des manigances des autorités, Vladimir Ryjkov, a expliqué à la foule : « C’est un régime corrompu de voleurs qui gouverne la Russie, ce sont des gens qui haïssent le peuple et pillent le pays. Aujourd’hui, c’est une journée historique. La Russie s’est réveillée ».
Après le meeting, les manifestants décidèrent de se diriger vers le centre ville où se trouve le siège de la Commission Centrale Electorale. Tout de suite, des unités de police essayèrent de bloquer les manifestants. Plusieurs personnes furent arrêtées. Des échauffourées eurent lieu place Tourgueniev. Près de 300 personnes furent arrêtées.
Le lendemain, Moscou fut plein de troupes du ministère de l’Intérieur. Leurs unités encerclèrent toutes les places de la capitale, mais cela n’arrêta pas les protestataires. Une manifestation un peu moins nombreuse que la veille eut lieu place Trioumfalnaïa. Ses participants avaient été mobilisés via Facebook. Pour contrer l’opposition, le régime fit venir près de 2 000 ados et étudiants des jeunesses poutiniennes, mais ils restèrent passifs, car ils étaient là sur ordre. La police arrêta, cette fois, plus de 500 manifestants. Plusieurs personnes dont quelques journalistes furent passées à tabac sans ménagement. De nombreux participants furent condamnés à des amendes ou même à une détention dite administrative allant de 1 à 15 jours de prison.

Une nouvelle révolution?

Les autorités craignent désormais que les protestations s’étendent à tout le pays. Le fantôme d’une révolution de velours les hantent ainsi  depuis la « révolution des roses » en Géorgie. Pendant de longues années, elles ont construit un système de défense, durci la législation, créé des mouvements de jeunesse progouvernementaux, et pourtant, au moment décisif,  s’avérèrent incapables d’opposer des arguments convaincants à la contestation. Tout ce dont elles sont capables, c’est l’arbitraire et la violence de la police. Or, cela ne peut qu’inciter les gens à des méthodes de résistance plus actives.
Le mécontentement des masses dépasse les cercles de l’opposition. Tout le monde parle de la « révolution ». La société est fatiguée du pouvoir lourdement compromis. Les bacs de poubelle à Moscou sont couverts de graffitis « Ici, est la vraie place de La Russie Unie ». Sur les vitres arrière de nombreuses voitures, on voit le sticker : « Barre la route au pouvoir des voleurs ! » Les chefs du parti et de l’Etat risquent d’être bientôt perçus comme simplement ridicules,  leurs jours seront alors comptés. Les chefs le comprennent, et sont nerveux, proche de la panique.
Entre temps, l’opposition gagne des points. Ce samedi, journée des Droits de l’homme, le mouvement « Solidarité » organise  le plus grand meeting jamais organisé sur la place de la Révolution à Moscou pour obtenir l’annulation du résultat des élections, l’organisation d’un nouveau scrutin et surtout une Russie sans Poutine. On ne sait pas quelle sera la réaction du pouvoir devant ces 15 000 manifestants, mais sur le net, indépendamment de l’opposition, une multitude de gens discute des actions de protestation possibles et des meetings sont prévus dans 50 autres villes russes.
Ni le FSB, ni les centres de la lutte contre l’extrémisme du ministère de l’Intérieur ne seront capables de canaliser l’avalanche des protestations, surtout lorsque la société est armée de technologies modernes et d’Internet à très haut débit. Comme des généraux qui se préparent à une nouvelle guerre en s’inspirant de la guerre précédente, le pouvoir russe se prépare à réprimer l’activité sociale avec de vieilles méthodes. Omnibulés par leurs ambitions personnelles, ils ne remarquent pas le temps qui passe. Ils pensent toujours à pouvoir maîtriser la société avec des méthodes staliniennes.

L’opposition a ici beaucoup à jouer . Saura-t-elle être à l’unisson avec les exigences de la société? Pourra-t-elle résister aux sirènes du compromis et avoir assez de courage ?
La Russie est au seuil de grands événements. Il est vrai qu’elle l’a déjà été à maintes reprises, mais n’a pas su faire à temps le pas décisif. Pendant ces années d’inertie, l’humanité a accumulé de l’expérience dans le renversement de dictatures et de régimes autoritaires. Il n’est pas impossible que « le printemps arabe » en Afrique du Nord soit suivi par une « révolution d’hiver » en Russie. Le XXI siècle est désormais trop dynamique pour qu’on attende des décennies durant l’effondrement d’un régime autoritaire.

Par Alexandre Podrabinek

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