11 novembre 2011
The Madrider-Faites vos jeux, rien ne va plus

La crise, quelle crise ? Les salles de bingos sont pleines. La Loterie Nationale n’a jamais fait autant de profits, les sociétés de paris en ligne, non plus. Les espagnols sont fauchés. Plus de deux sur 10 sont au chômage. Et, malgré cela, ils demeurent fidèles à leur passion de toujours : le jeu ! Un bon numéro peut rapporter des millions… Et avec la conjoncture, c’est le moment ou jamais ! Alors, ils se privent de beaucoup de choses pour taquiner la chance. Pour titiller la roulette!
Un engouement pour les tombolas n’a pas échappé au dénommé Shelton Adelson, le champion du monde toutes catégories des profits du hasard. Propriétaire de Las Vegas, 8ème fortune des Etats-Unis évaluée par Forbes à 21 milliards 500 millions de dollars. Il a aujourd’hui un rêve fou : exporter en Espagne la copie de son empire américain. Convertir Madrid en Las
Vegas. Voila deux ans et demi qu’il caresse l’idée, deux ans et demi qu’il négocie avec le gouvernement de Madrid. Et son projet pharaonique serait sur le point d’aboutir. Le gain, mon bon Monsieur, le gain ! La Région autonome de la capitale espagnole, comme les 16 autres régions du pays, est à bout de souffle. Elle a du réduire ses dépenses d’enseignement. Les fastes ont été gommés, des aéroports fermés, des salaires bloqués, les retraites gelées. Plus grave encore : certaines régions sont obligées de se défaire de prérogatives décentralisées – chèrement gagnées!- pour les restituer au Pouvoir Central. Un comble ! Les responsables de la Communauté de Madrid ont proposé de s’affranchir de la gestion de la Justice. Ils envisagent de se débarrasser aussi de l’environnement. De l’économie, même ! Autant de «cadeaux» dont le Pouvoir espagnol, lui-même à l’agonie, se passerait volontiers ! Le mot «recentralizar », « re-centraliser », est devenu à la mode. Un qualificatif inimaginable avant la crise dans ce pays qui depuis 30 ans est le plus décentralisateur d’Europe ! Au milieu de ce marasme, le… miracle : transformer Madrid en un
«Euro Las Vegas » ! Le projet couleur billet vert a fait « tilt » dans la tête de la première dame de Madrid, la présidente de la Communauté, Esperanza Aguirre, au prénom prédestiné!
Il faut dire que sur le papier, les chiffres avancés par l’américain ont de quoi faire tourner les têtes ou…les dettes. Un investissement de 16 milliards 900 millions de dollars, la création de 261. 000 emplois -la moitié des chômeurs de Madrid!- pour installer son gigantesque centre de jeu : 6 casinos, 12 hôtels, des dizaines de restaurants, trois terrains de golf, un stade de 17.000 spectateurs. Olé ! Les chiffres donnent le vertige au moment où l’Espagne se prépare à la récession.
Seulement voilà… Avant que le rêve américain ne se convertisse en réalité espagnole, plusieurs détails, et pas des moindres, restent à régler. La Communauté de Madrid va devoir céder à l’incroyable diktat « imported from Las Vegas ». Le mécène exige que son paradis du jeu soit aussi un… paradis fiscal. Il entend ne pas payer d’impôts ! Rien que cela ! Il veut aussi contourner la législation du travail en proposant des salaires à son goût! Last but not least, il exige que le tabac soit autorisé dans son antre ludique alors qu’en Espagne il est désormais interdit partout de fumer ! Madrid grimace, hésite à se tordre le cou, mais… négocie. Le complexe devrait s’installer au Nord-Ouest de la capitale, près de l’aéroport de Barajas. Un triste remake de « Bienvenue Mister Marshall » le film espagnol de Berlanga datant de 1953. L’œuvre pastichait l’Espagne des années 50, désespérée, dans l’attente de la modernité et des moyens promis par l’Amérique du Plan Marshall. Soixante ans plus tard, voilà un remake dont l’Espagne se serait bien passée…

par Pierre Cayrol

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