16 décembre 2011
The Dubaïer- Une prison dorée

« Ahlan wa Sahlan fi Dubaï !! » mon ami Ahmad m’accueille avec un grand sourire à la sortie de l’aéroport. Il me tend la main pour me saluer. « Bienvenue dans la ville que j’aime le plus au monde. » Il n’a pas changé, il a toujours un visage rond, éclairé par un regard malicieux et un sourire tendre.
Une fois dans sa voiture il me demande si j’ai faim. Comme je réponds que oui, ses yeux s’illuminent derrière ses petites lunettes et il m’annonce qu’il va m’emmener dans un des endroits les plus branchés de Dubaï. «  On va à la Marina, tu vas voir il y a tout ce que tu veux là bas. « On se met en route. A travers la vitre teintée, je découvre la ville. Je ne vois que d’immenses gratte-ciels, et au loin, le désert. Ce qui me trouble le plus, c’est qu’au milieu de cette architecture hétéroclite, il n’y a pas une âme. Réflexion faite, il n’y a presque pas de trottoir. Autour de nous je ne vois que des modèles dernier cri de voitures de marques européennes et des 4X4 américains.

Un pays vieux de…40 ans!

Clairsemées le long de routes à dix voies, ces tours, toutes plus exubérantes les unes que les autres, semblent être sorties de nulle part. « Il y a environ dix ou quinze ans, tout ça c’était du sable, me raconte-t’ ‘il en conduisant. Je me souviens  lorsque j’étais petit, qu’ aller à Abu Dhabi était une véritable excursion. Aujourd’hui, Dubaï s’est tellement étendu, qu’en une heure les gens sont là bas. Ils y vont pour le weekend. »  Le pays vient d’avoir quarante ans. En moins d’une génération, Dubaï est sortie du désert pour devenir un centre de business mondial.
« Voilà nous sommes arrivés. Mexicain ça te va ? » Je réponds par l’affirmative. J’aurais bien aimé lui dire que je préférerais quelque chose de plus authentique mais je me dis qu’ici, cela ne doit pas signifier grand chose. Je le suis tandis qu’il me guide le long de la promenade qui borde une marina artificielle au milieu de laquelle sont amarrés de luxueux yachts. Je ne vois que des Occidentaux. Suivis par des armadas de poussettes et de nounous philippines.
« On a eu de la chance d’avoir pu se garer aussi facilement. D’habitude c’est la folie à cette heure là. Les Saoudiens aiment bien venir dans le coin pour exhiber leurs grosses voitures… Ils tournent en rond pendant des heures et du coup ça bloque le trafic. » Il finit par s’arrêter devant un restaurant. Nous sommes accueillis par un Pakistanais habillé en mariachi et coiffé d’un chapeau de cow-boy. Après avoir commandé, pour le taquiner, je lui demande s’il a voté pour les élections législatives égyptiennes. Il secoue la tête et me dit que ça ne le concerne pas. Il a peut être un passeport égyptien, mais il ne se sent aucune affinité avec le pays. « Ma mère a grandi là bas, je ne sais pas trop où, mais nous n’y avons jamais été. En fait, je n’ai jamais été dans un pays arabe. Rapidement en Palestine, à Naplouse quelques jours pour voir la famille de mon père mais c’est tout. »

Exilé en sursis

Les parents d’Ahmad sont Palestiniens, mais lui est né à Dubaï. « J’ai vingt huit ans et j’ai grandi ici. Je n’ai pas d’autre chez moi. » Il marque une pause, repousse ses lunettes sur son nez du bout de son majeur. « Je voudrais avoir un  passeport anglais ou américain. Ma fiancée a obtenu la nationalité canadienne, et mon meilleur ami est australien depuis trois mois. » Il m’explique que même s’ils sont nés ici, ils ne seront jamais considérés comme des Émiratis et n’auront jamais les mêmes droits citoyens et sociaux.« Ici les étrangers ne peuvent rester que si leur employeur leur assure le visa. Si je perds mon travail, je perds mon droit de vivre ici et je dois quitter le pays au risque d’être déporté. Dans mon cas ce sera en Égypte, un pays auquel je ne connais rien et où je ne veux pas vivre. C’est pour ca qu’il faut que j’obtienne la nationalité d’un pays où j’aimerais finir mes jours. Parce que quand j’aurai soixante ans, je n’aurai plus le droit d’être employé et il faudra que j’ai un toit, un endroit sympa où aller. » Une fois qu’un immigré, même s’il est né ici et n’a jamais vécu ailleurs, n’est plus en mesure de contribuer à la croissance économique de Dubaï, il n’a plus sa place. « Il y a des combines, me dit il, mais c’est aléatoire. Il faut avoir son propre business ou se faire nommer associé chez un copain. C’est ce que mes parents ont fait pour pouvoir rester ici. »
Il me raconte comment tous les trois ans, il doit faire renouveler son visa. Même s’il est confiant, il a toujours une boule au ventre quand l’échéance tombe. Il est arrivé que des ressortissants d’un pays arabe dont la situation intérieure s’était détériorée se voient refuser leur visa. « Ils ne veulent aucun problème politique ici. Donc ils préfèrent ne prendre aucun risque. » Tout d’un coup il regarde autour de lui, et lance amusé « Ahmad !! Embarquement immédiat dans le prochain cargo pour l’Égypte !! »  Et il explose de rire. Puis il ajoute « Non sérieusement, je préfère changer de sujet. Je ne veux pas d’ennuis. » Le mariachi pakistanais pose nos assiettes sur la table.

 Travailleurs invisibles

Le lendemain je décide de descendre faire un tour, avide de sentir l’atmosphère de la ville. Faute de pouvoir la traverser, je longe le bord sablonneux de la route. Je passe devant des « mall » immenses, me retrouve coincée au milieu d’intersections, me perds sous des échangeurs et fini par atterrir au milieu d’un petit coin de sable encerclé par une forêt de tours géantes et un flot continu de voitures lancées à pleine vitesse. Je tente de rebrousser chemin puis je finis par prendre un taxi. Au cours de  ce périple je n’aurai croisé que quelques piétons. D’une part des Occidentaux, touristes ou expatriés qui flânent en tenues légères, près des malls, des restaurants ou des hôtels, ou qui rentrent se percher confortablement chez eux dans leur tour. Et puis les travailleurs. Indiens, Pakistanais, Sri Lankais ou autre, ils portent des bleus de travail poussiéreux et tiennent leur casque jaune à la main. Ils sont assis sur le trottoir ou à même le sol sur des petits lopins de sable, cachés derrière des bâches vertes. Epuisés ils attendent le bus qui les reconduira chez eux, loin derrière les tours dorées qu’ils ont eux-mêmes construites il n’y a pas très longtemps. Pourtant c’est comme si ils étaient invisibles. Deux réalités parallèles qui évoluent dans un espace commun mais sans jamais se croiser. Comme dans certains livres pour enfants, où page après page, les décalcomanies se superposent pour composer une image finale.

 Ségrégation silencieuse

En fin de journée je retrouve Ahmad et ses amis, Soumeya et Bilal, près de la piste de ski au milieu du Mall of the Emirates. Je leur raconte mon aventure. Ahmad glousse et me demande gentiment pourquoi diable je n’ai pas pris un taxi car personne ne marche ici…à part les travailleurs. Par ailleurs, même si je sais qu’ils ne représentent que 5% de la population de Dubaï, je n’ai croisé aucun Émirati. Je fais part de mon étonnement à mes trois compagnons. « Moi aussi j’en vois très peu. Je crois même que je n’ai jamais parlé avec un local » me répond Soumeya, « ils sont comme inaccessibles, on ne les voit jamais. Ils ont leurs espaces et ne se mélangent pas. » Pourtant elle m’avoue que beaucoup ici souhaiteraient obtenir la nationalité émiratie. « Tout est quasiment gratuit pour eux. Le logement, la santé, l’éducation jusqu’au doctorat, avec des échanges à l’étrangers qui sont parfois rémunérés. Leurs téléphones, leurs chauffeurs, leurs bonnes, leurs nounous, tout est prix en charge par l’Etat. Le gouvernement leur donne à tous un job et les protège de la crise. » Mais ce club doré reste fermé à l’immense majorité des immigrés.

« Je serai prêt à faire n’importe quoi pour avoir cette nationalité, ajoute Ahmad. Je pourrais même renoncer à tous leurs privilèges si ça me permettait de rester ici quand je serai vieux. Mais il ne faut pas rêver. Depuis que je suis né, je n’ai entendu parlé que d’une centaine de cas, voire un millier à tout casser  d’expats qui ont été naturalisés. En plus, quand ils accordent la nationalité à quelqu’un, ce n’est jamais à la suite d’une demande. C’est une surprise qui tombe comme ça, en guise de récompense. »
Bilal, qui est parti chercher nos tickets, revient avec quatre combinaisons. J’enfile la mienne. Une fois passé le sas d’entrée, un froid violent me gifle le visage et je découvre devant moi une immense piste de ski. Alors qu’il s’assoit à mes cotés sur le télésiège, Ahmad me sourit et me dit « Alors c’est pas génial Dubaï ? Tu peux faire tout ce que tu veux ici ! » Oui bien sur, tant que tu n’es ni trop foncé ni trop vieux, tu peux te bercer encore un peu de cette illusion. Le télésiège démarre et nos pieds quittent la neige artificielle.

Par Paloma Haschke

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