19 novembre 2011
The Cairer-Des éléctions en hyérogliphes

Elle est sans conteste la plus glamour des candidates aux premières législatives de l’après révolution égyptienne.  Son visage de madone, un foulard bleu turquoise autour du cou assorti à son ombre à paupières, des cheveux roux lissés et un sourire à peine ébauché, Gamila Ismael, candidate du parti El-Ghad -Demain- est devenue une figure médiatique. Et emblématique du combat démocratique en Egypte depuis elle a défendu son ex-mari Ayman Nour, jeté en prison pour avoir osé présenter sa candidature à la présidentielle contre Hosni Moubarak dès 2005.
« Il nous faut évidemment voter pour elle» disent Nadia, Mona, Laila, Abir et Malak, réunies autour d’une grande table de salle à manger encombrée d’ordinateurs, de petites viennoiseries, de cendriers pleins et de piles de documents électoraux. Dans le spacieux appartement donnant sur le terrain de golfe du club Guezira, les cinq militantes préparent les réunions de sensibilisation qu’elles vont tenir la semaine prochaine dans les quartiers populaires du Caire. Mais pour expliquer aux électeurs novices pourquoi et comment il faut voter à partir du 28 novembre, encore faut-il avoir bien intégré le système de scrutin qui s’apparente au déchiffrage de  hiéroglyphes. Mona tente de récapituler : « Chaque électeur doit mettre deux bulletins dans l’urne. Un pour le candidat individuel élu à la majorité et un autre pour la liste, élue à la proportionnelle ». Sur les 498 sièges à pourvoir dans la nouvelle assemblée du peuple, 30% sont réservés au mode uninominal majoritaire et 70% aux listes des partis élus au scrutin proportionnel. Tout cela en deux tours.  L’exercice s’étale sur six semaines, deux pour chacune des trois zones électorales de l’Egypte. C’est peu dire que les concepteurs du système n’ont pas cherché à faciliter l’apprentissage démocratique.
Mais s’il s’agit de décourager les électeurs, les candidats eux, ne manquent pas. Leur campagne envahit le Caire en ces premiers jours de « l’hiver », comme on dit ici quand la température tombe en dessous de 20 degrés. Leurs affiches et banderoles de toutes tailles et de toutes couleurs enguirlandent les rues, les places et les ponts.  Pas besoin de lire l’arabe ou de connaitre les dizaines de nouveaux partis et coalitions qui se présentent pour deviner leur tendance. Les têtes des candidats et leur code vestimentaire annoncent leur programme. Le quinquagénaire rasé de près en veste et cravate promet forcément de relancer l’économie du pays. Le jeune aux cheveux bouclés, en chemise à carreaux réclame que « la révolution continue ». Et la belle Gamila Ismael veut asseoir les libertés individuelles. On apprend assez vite aussi à faire la distinction entre les islamistes selon la forme et la fourniture de leurs barbes. Courtes et bien taillées chez les Frères musulmans, relookés depuis la révolution dans le parti de la « Liberté et la Justice », elles encadrent des visages souriants de certains candidats qui ont poussé le modernisme jusqu’à porter la cravate, symbole d’un occidentalisme longtemps honni. Impossible de les confondre avec les authentiques salafistes aux barbes longues qui descendent parfois en deux cornes séparées ou en rideau touffu qui couvre jusqu’au bas de la photo. Obligés par la loi de présenter au moins une femme sur leur liste de huit candidats dans chaque circonscription, ces extrémistes de plus en plus visibles et arrogants, ont choisi de mettre une rose au lieu d’un portrait en Niqab face au nom de leur candidate. Décidément, la campagne égyptienne fleurit même parmi les ronces.
« Après tout, nous étions tous ensemble Place Tahrir, pendant des jours et des nuits pour réclamer la chute de Moubarak en février dernier, » fait valoir la très laïque Mona, nostalgique de ces manifestations exceptionnelles où « tous les Egyptiens se sont mélangés et ont appris à se connaitre. » Comme la plupart des visiteurs de l’exposition inaugurée le 16 novembre au Guezira Art Center, magnifique ancien palais de l’ile de Zamalek, elle revit l’émotion de ces moments historiques. Sous le titre « Le peuple, ligne rouge », quatorze photographes présentent les clichés les plus significatifs pris pendant la révolution.  On y voit des groupes de femmes voilées de couleurs vives, des jeunes- barbus ou pas- partageant leur pique nique et des intellectuels connus discutant avec la foule. La nouvelle Egypte dans toute sa diversité en somme, qu’il sera malaisée à représenter dans un scrutin, fut-il compliqué en diable.

par Hala Kodmani

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