13 décembre 2011
The Afrikaner-Du colonianisme à travers les langues

Un demi-siècle après son indépendance, l’Afrique reste une colonie du point de vue linguistique. Nous avons hélas l’habitude d’utiliser des expressions dépassées pour décrire le Continent noir, « Afrique francophone »ou « Afrique anglophone » : il s’agit d’appellations erronées.
A  Addis Abeba,  Sozinho Francisco Matsinhe explique que « les anciennes langues coloniales sont parlées par une très petite élite minoritaire et non par la majorité des africains». Cette élite a souvent fait des études, vit dans les zones urbaines et non dans les villages où résident  80 % des Africains, souligne le patron de l’Académie africaine des langues.
« Même si elles ne sont parlées que par une petite minorité confinée dans les zones urbaines, les anciennes langues coloniales reçoivent un traitement de faveur dans tous les domaines, y compris le cyberespace, aux dépens des langues africaines parlées par une majorité des Africains » ajoute Sozinho Francisco Matsinhe, qui intervenait lors de la conférence  « Action week for Global Information Sharing », organisée en Ethiopie, à Addis-Abeba, pendant la semaine d’action sur le partage de l’information.

Français et anglais
Gregory Kamwendo de l’Université du Botswana nous met aussi en garde : « Si vous allez dans les villages, nous n’entendrez personne parler français ». Cependant, tant les gouvernements que les organisations non gouvernementales (ONG) s’accrochent à l’idée que l’Afrique peut être divisée en régions de langue française, anglaise et portugaise. Cela pourrait expliquer en partie l’échec, à ce jour, des programmes d’aide visant à réduire sensiblement la pauvreté, car « un réel développement ne pourra se produire que lorsqu’il sera ancré dans les langues des populations ».
Les efforts de développement en Afrique ont longtemps été déployés en supposant que tous les africains parlaient une langue européenne. Chaque jour, partout en Afrique, l’aide est apportée dans la langue des donateurs et non des bénéficiaires!
À Thange au Kenya, des orphelins du SIDA jouent devant une affiche qui vante les pratiques sanitaires : le texte est en anglais, tout comme le manuel de soins de santé du dispensaire. Or, ici  les villageois parlent le swahili …
« Le développement communautaire n’aura pas lieu à moins de communiquer avec les personnes dans la langue qu’elles connaissent le mieux. Si vous parcourez les zones rurales africaines en parlant anglais, français ou portugais, vous parlez tout seul, car personne ne vous comprend », ajoute Francisco Matsinhe.

Identité et langue

Les langues européennes ne sont pas adaptées pour exprimer la réalité africaine. Odejobi Odetunji Ajadi, de l’Université Obafemi Awolo, Ile Ife, au Nigeria affirme ainsi que « la langue française décrit la culture française, le vécu français. Ma langue, ajoute-t-il, est la seule qui me permet de décrire ma vision du monde ». Toutes les langues sont bien le reflet de la culture des personnes qui les parlent. Comme le dit le nigérian Tunde Adegbola avec une pointe d’ironie : « Il est plus facile de voler en anglais. Dans ma langue, les expressions « détournement  » ou « comptabilité créative » n’existent pas. En Yoruba, nous n’avons qu’un seul mot « vol »!
Le consensus est que nous devons laisser de côté les étiquettes telles qu’ « Afrique francophone » et voir le continent tel qu’il est ! Une riche tapisserie de langues que les personnes utilisent au jour le jour, dans lesquelles elles rêvent, à travers lesquelles elles appréhendent le monde. Les implications de cette réalité sont importantes : pour que les informations touchent les personnes qu’elles ciblent, sur la manière de se protéger contre le SIDA ou d’obtenir de meilleures récoltes, elles doivent être exprimées dans une langue que les personnes comprennent.
Selon Jean Romain Kouesso de l’Université de Dschang au Cameroun, « en Afrique, le vrai développement doit être ancré dans les réalités linguistiques et culturelles, c’est-à-dire, la manière dont les personnes vivent leur vie, et non selon nos idées préconçues ».

Une conclusion s’impose à tous les experts de l’Afrique du XXI ème siècle : « Si nous prenons au sérieux le développement en Afrique, résume Francisco Matsinhe,  nous devons mettre en place l’équité linguistique, au risque de toujours être à la traîne ».

Par Lori Thicke- Présidente  de Traducteurs sans frontières

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