16 février 2012
Maggie is back

Après avoir réalisé un documentaire « Mais qui a tué Maggie? » William Karel a vu pour The Pariser La dame de fer. Voilà ce qu’il en a pensé, revenant pour l’occasion sur cette femme politique qui a marqué son époque.

Dès la première image du film « La dame de fer », on sait que c’est gagné ! Meryl Streep en Margaret Thatcher chancelante qui achète un bidon de lait y est époustouflante ! Elle incarne avec un talent inouï cette femme malade, aujourd’hui âgée de 86 ans, qui n’a plus toute sa tête, dans les derniers moments de sa vie. L’interprétation de Meryl Streep est exceptionnelle. Quand elle marche, bouge, passe furtivement entre deux portes, ou même de dos, c’est elle. Sa performance est à la hauteur de celle de Helen Mirren dans The Queen, et balaye toutes les réserves que l’on peut avoir sur ce film qui, malheureusement, est loin d’avoir les qualités de celui de Stephen Frears. Souvent trop long -ces interminables scènes avec le fantôme de son mari Dennis. Et parfois escamotant en moins d’une minute la mort, à 27 ans, de Bobby Sands, et de neuf autres membres de l’Ira, après 66 jours de grève de la faim qui laissèrent Margaret Thatcher inflexible. Elle ne céda pas et les laissa mourir. Il est vrai que sur les 2000 pages que comptent ses Mémoires, Margaret Thatcher ne leur avait consacré que dix lignes…
Curieusement, les admirateurs de Margaret Thatcher n’aiment pas ce film parce que c’est un portrait à charge, qui ne met pas en avant qu’elle a modernisé l’économie. C’est justement son inflexibilité qui leur plaît. Elle n’infléchit jamais sa ligne de conduite sous la menace. Et qu’elle a toujours été l’épouvantail que l’on brandissait à chaque fois.

Quant à ceux qui la détestent, ils trouvent le portrait complaisant, un peu trop flatteur, le film ne montrant pas assez que Maggie Thatcher a toujours été l’ennemi, et qu’ils ne lui pardonneront jamais la manière dont elle a brutalisé la société anglaise.
Les studios américains avaient lancé Eric Von Stroheim avec le slogan : « L’homme que vous adorerez haïr! » Ce slogan, Margaret Thatcher en a fait le sien. Au début de sa carrière, promue Ministre de l’Éducation, elle avait, dès le premier jour, mit fin à la distribution gratuite de lait dans les écoles pour les enfants. Elle a tout fait pour freiner le processus de construction européenne, a été contre la réunification allemande, pour le rétablissement de la peine de mort, a dit que l’apartheid ne la gênait pas, et avait écrit au général Pinochet : « Vous êtes celui qui avez amené la démocratie au Chili ».

Pour mémoire, il faut juste rappeler que lorsqu’elle accède au pouvoir, la situation économique est telle que la Grande-Bretagne est surnommée « L’homme malade de l’Europe », et les économistes se demandent si le pays ne serait pas en train de prendre la voie du sous-développement. Le chômage est passé de 2 % en 1974 à 8 % en 1979. Sous le gouvernement travailliste, l’inflation a fait un bond de 9% par an à 15%. Et l’Angleterre doit demander un prêt de 4 milliards de dollars au Fond Monétaire International.
La « Dame de Fer » (surnom que le journal L’Étoile Rouge lui avait décerné), va, en onze ans, mettre en pratique un programme appuyé sur les valeurs « victoriennes » de travail, d’ordre, et d’effort, qu’elle a reçu dans son éducation, pour enrayer le déclin du pays : réduction des dépenses publiques, fin des subventions, diminution de l’aide sociale et de l’assistanat, privatisations. Margaret Thatcher, qui a un orgueil démesuré, a aussi une morale terriblement manichéenne. En gros, le monde est à ses yeux partagé en deux : les assistés et les méritants. Elle sera le chantre du libéralisme et de l’anti-aide sociale, au prix de privatisations et des réformes radicales à l’impact social ravageur. Trois millions de personnes vont être chassées de leur travail en quatre ans. Elle va briser les syndicats, nettement à gauche, et dont la puissance est énorme. Les transports publics sont vendus, la sécurité sociale démantelée, les impôts des classes les plus aisées sont réduits, le secteur industriel détruit.

Le « style abrasif » de Margaret Thatcher va entraîner des conséquences désastreuses sur le système de protection sociale. La proportion de familles vivant en dessous du seuil de pauvreté passe de 8% en 1979 à 22%, un enfant sur trois est sous-alimenté. Cette évolution traduit une forte augmentation des inégalités de revenus. Les quartiers déshérités des grandes villes sont le théâtre d’émeutes violentes. Le Sunday Times parle « du visage odieux de Margaret Thatcher qui ne s’intéresse qu’aux privilégiés », l’appelle « Attila ». Peu à peu, tout le pays est contre elle, mais elle n’en mesure pas la gravité. Un député de son parti demande : « Margaret est-elle devenue folle » ? Un autre : « A-t-elle toutes ses facultés mentales » ? En huit mois, elle a procédé à quatre remaniements ministériels et sur les 153 ministres de ses nombreux gouvernements, il n’y eu jamais une seule femme! Réélue à trois reprises, elle est restée plus de onze ans au pouvoir, de mai 1979 à novembre 1990. Le plus long mandat de Premier ministre. Le Time écrit : « Onze ans plus tard, il ne reste plus personne au gouvernement. Elle les a tous dévorés, un à un ».

Dans son livre sur Margaret Thatcher, Peter Jenkins écrivait : « Elle était devenue un monarque, entouré de courtisans. Elle semait la terreur chez les membres de son cabinet, les frappait avec son sac à main. Elle plaçait des espions dans les ministères clés. Elle n’avait aucun ennemi à l’extérieur. Tous venaient de ses propres rangs, et passaient leur temps à comploter et intriguer ». A un journaliste qui lui demande si elle compte prendre sa retraite, elle répond : « Je n’y pense même pas… Les dix années à venir seront les plus excitantes » ! Elle avait déclaré au magazine “Elle” : “Ma définition de l’Enfer ? Avoir énormément de temps libre… Et ne pas savoir quoi en faire”… Un mois plus tard, elle ne sera plus Premier ministre.

Le film passe trop rapidement sur sa destitution, sa mise à mort, par un vrai complot shakespearien, renversée par ses propres ministres, secrétaires d’état. Tous sont membres de son parti, le parti conservateur. Un véritable lynchage. A sa fille, qui écrivit que sa mère avait été victime d’un véritable assassinat, poignardée dans le dos par ses propres amis lors d’un coup d’Etat, Margaret avait confié : « Je n’oublierai jamais… Et je ne leur pardonnerai jamais ! »

Le film La dame de fer ne montre pas non plus dans quelles conditions elle est chassée du 10 Downing Street. Dans la nuit, Denis, son mari, commence à faire ses valises. Le couple doit libérer les lieux dans les deux heures. Elle écrira dans ses mémoires: « J’ai voulu vérifier que Denis n’avait rien oublié. Je suis retourné au 10 Downing Street deux heures plus tard. J’eus un choc en constatant que les clés avaient déjà été retirées de mon trousseau, les serrures changées, et que je ne pouvais plus entrer ».

On ne la voit pas, dès le lendemain de son départ, complètement perdue, désemparée. Elle avait fait du salon de son appartement une copie conforme de son bureau du 10 Downing Street. Son conseiller personnel venait chaque semaine préparer avec elle un faux conseil des ministres, et ensemble, ils procédaient à l’ordre du jour. Ni combien elle avait été déçue par ses deux enfants, les jumeaux Carol et Mark, qu’elle sacrifia, trop préoccupée par sa carrière. Carol, que Margaret regardait dans l’émission de télé-réalité La ferme célébrités, et Mark, inculpé pour trafic d’armes avec l’Angola.

Lorsque j’arrivais à Londres pour commencer le tournage de mon documentaire Mais qui a tué Maggie? , on pouvait voir au Courtyard Theater une pièce intitulée La mort de Margaret Thatcher, l’histoire d’un mineur qui marche depuis le nord de l’Angleterre pour venir uriner sur la tombe de Mme Thatcher. L’auteur, Tom Green, s’interrogeait sur la marque que laissera en Grande-Bretagne l’ancien Premier ministre, une fois disparue, et les raisons pour lesquelles elle continue à déchirer l’opinion, si longtemps après avoir quitté la scène politique : « On peut mettre la disparition de Margaret Thatcher sur le même plan que des événements tels que la mort du président John F. Kennedy, ou de la princesse Diana. Elle provoquera des émotions de cette nature. La Dame de fer était un monstre, mais elle a un statut d’icône. Il sera intéressant de voir, quand elle sera morte, ce que la société fera d’elle»…

On pouvait encore acheter dans la boutique d’à côté un disque rassemblant une compilation de toutes les chansons écrites contre Margaret Thatcher : « History », par le groupe Funeral for a Friend. « London Calling », par  The Clash. Pink Floyd,  et leur album « The Final Cut », qui critique largement sa politique : « Oh, Maggie, what did we do ? ». Le groupe Iron Maiden, avec « Sanctuary », dont la pochette représente Margaret Thatcher poignardée par le groupe. Elton John, « Women In Uniform », avec le Premier ministre armé d’un fusil d’assaut. Paul Morrissey, des « Smiths », et sa chanson « Margaret on the guillotine ». Ou encore le chanteur Renaud, avec Miss Maggie, une charge féroce contre Margaret Thatcher. Shane Meadows, cinéaste anglais, y précisait: « Pensez-vous qu’un jour on sortira de ce traumatisme qu’ont été Les années Thatcher ? C’est comme une cicatrice sur votre corps, des pieds à la tête »…

François Mitterrand disait d’elle : « Elle a la voix de Marilyn Monroe… Et les yeux de Staline, de Caligula… C’est le seul homme du gouvernement anglais ». Ronald Reagan l’appelait : « The best man in England ». Tous deux lui apportèrent leur soutien lors de la Guerre des Malouines, un archipel perdu dans l’Atlantique sud, d’une importance stratégique et économique insignifiante, et ne présentant aucun intérêt vital, reconquit dans une débauche de moyens et de vies humaines (293 morts britanniques et un millier du côté argentin en trois semaines). Plusieurs lieux portent son nom dans les Iles Malouines, en souvenir du conflit de 1982 : « Thatcher drive », Port Stanley, ou la « Péninsule Thatcher », en Géorgie du Sud. Et le 10 janvier est un jour férié dans les Malouines, le « Margaret Thatcher Day ».

Tony Blair souhaitait pour Margaret Thatcher des obsèques nationales, normalement réservées à la famille royale. Plusieurs membres du Parti Travailliste le menacèrent de démissionner s’il ne revenait pas sur sa décision. Et c’est vrai que le personnage fascine. Lorsqu’elle a quitté le pouvoir, le journaliste de la BBC chargé de la suivre depuis 11 ans, a démissionné. Depuis, il anime des croisières en Méditerrannée où il raconte la vie de Margaret Thatcher à des clients fortunés.

En 2006, elle fut le premier chef de gouvernement britannique à avoir sa statue de son vivant dans la Chambre des communes. Lors de l’inauguration, elle déclara : « J’aurais préféré une statue en fer, mais le bronze me convient… Elle ne rouillera pas ».
Que reste-t-il de Margaret Thatcher ? 52 % de Britanniques pensent aujourd’hui que son bilan est globalement positif. Que Margaret Thatcher est restée onze ans et huit mois au pouvoir, mais, qu’en fait, elle y est encore, et depuis trente ans.

 

Par William Karel

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