25 janvier 2012
Loic chez Mademoiselle

Avant Loïc Prigent, la mode c’était deux plans de défilés au JT, si possible avec un sein nu apparaissant sous la mousseline et le présentateur qui reprenait derrière, un brin émoustillé! Puis ce journaliste plein de talent et de fantaisies est arrivé, écrivant enfin des textes dignes de ce nom, un brin décalé car franchement la mode, ce n’est pas vraiment du « news » pur et dur, non? , donnant au passage,  à voir l’envers du décor, c’est-à-dire dans ce milieu où l’image est reine, le plus intéressant…. Car le « Making of « d’un défilé, ici Chanel Haute couture en 2004,  ces deux mois environ où toute une ruche s’affaire pour donner naissance à au moins 25 modèles- chiffre imposé par la chambre syndicale, tous ces moments qui, de l’instant où Monsieur Karl fait ses premiers dessins à celui où les mannequins défilent, vêtues comme des déesses,  voilà qui est passionnant. Au total six épisodes et l’occasion de confirmer combien  Karl Lagerfeld est un  styliste génial, capable de donner vie en un coup de crayon à des œuvres d’ art mouvantes, une fois passée entre les mains de l’atelier de la grande demoiselle.

Rentrer dans la tête de Monsieur Karl

Mme Jacqueline, Mme Martine, premières d’atelier-tailleur et flou, bien différents- et celles que l’ on appelle les « petites mains », elles sont toutes là, avec  luxe suprême les petites phrases du Kaiser à la clé. Loic Prigent a en effet retenu le mot de Zitrone, « A la télé, il faut que le short soit aussi court que le commentaire pour que ce soit bon ». Il n’en fait donc aucun, l’image et les protagonistes filmés étant les seuls à parler. Episode 1, il faut découper les toiles en suivant les dessins de Karl,   » rentrer dans sa tête » et donner vie aux croquis sur les mannequins en bois. Pendant ce temps là, on cherche un lieu; le premier ne plaît pas à Karl qui, très gentiment, enterre quatre mois de recherche pour les intéressés. Play again. On passe à autre chose. Un petit panneau sur la porte, « KL est là » et c’est reparti. Justement, le voilà qui arrive ce matin. Au total une dizaine de coups de fils de la fille à l’ accueil pour prévenir la rue Cambon qu’on devine vibrante tout d’un coup. Le défilé des fournisseurs peut commencer. Le chausseur qui a laissé un clou histoire de réveiller la pauvre mannequin, et fera pas moins de trois AR pour arriver à la forme idoine, voulue par  Monsieur Karl qui veut voir tout,  tout de suite! Après ce premier essayage sur un mannequin vivant, y’ a plus qu à . Attendre le verdict , s accroupir pour les retouches et choisir le tissu, tous ensembles. Car si Karl décide et sait ce qu il veut, il est dans le dialogue permanent avec cette idée qu’ à plusieurs, on est plus intelligent que tout seul…

On défait et on recommence

Il faut maintenant couper le tissu; l’illustration sonore en dit alors plus que le commentaire. En coulisse on maugrée contre le tissu, une vraie serpillère puis en un coup de crayon, la robe en panne est annulée- douze jours de travail. « Ça sera sûrement très beau, faut lui faire confiance mais, c’ est du souci quand même » entend-t’on chez les abeilles. Karl, lui, continue de dessiner pour rectifier, améliorer- le trait sur, droit au but.
Escalier, couloir, la caméra suit les premières d’atelier partout, enregistrant comment les ordres changent, comment tout doit être refait suite à un verdict couperet. On est à quinze jours du défilé et  » il faudrait un mois de plus », surtout pour la robe de mariée, « quelque chose d immense ». Sans compter la cape qui va avec… Plumassier, brodeurs, chapelier, tous se mettent alors à  l’ ouvrage pour offrir cette excellence qui n’appartient qu’à ces artisans français, seuls à détenir ce savoir faire que certains personnifie comme Madame Pouzieux, cette petite dame de 75 ans, qui a connu la grande demoiselle et continue à faire les galons du fin fond de sa campagne. Avec elle, Loic Prigent tient sans doute le plus beau passage de son documentaire. Comment le chauffeur lui apporte les tissus tel un trésor et qu’elle fait passer le foin pour ses chevaux avant la maison Chanel, « car demain il va pleuvoir ». Des nuits durant, elle sera là éclairée par sa veilleuse, dormant au plus deux heures en répétant que les limites, » c’est soi même qui les pose ». Des apprentis envoyés par la maison Chanel sont venus mais aucun ne sait tisser comme elle, dans le sens du tissu, en respectant les couleurs. Pareil pour les petites mains du brodeur Lesage que la maison Chanel a depuis racheté et qui ne manquera pour la première fois les défilés de janvier 2012, pour une bonne raison, la seule possible: il est mort en octobre dernier. Et d’apprendre avec ces femmes penchées sur le métier à broder que la tradition est de mettre un cheveu dans les broderies d’une robe de mariée pour l’être soi-même dans l’année.

Compte à rebours

Mais le compteur tourne, pas le temps de s’attarder. On est à dix jours du défilé, alors voilà les intérimaires- des habituées qui arrivent pour prêter main forte; de quoi découvrir toutes les superstitions dans un atelier: si ça tombe du cintre, le modèle plaira, les symboles liés à chaque doigt que l’on se pique, les ciseaux qui tombent par terre. La journée fatidique approche, les traits se tirent, les doutes arrivent, « je suis moche » dit l’une en regardant et s’identifiant à sa robe. Les essayages se précisent, les accessoires s’ajoutent, la presse internationale arrive avec Anna Wintour, la papesse américaine de Vogue. Le champagne coule dans le studio, l’eau est chaude dans les bouteilles des ateliers. « On aura donné toute notre jeunesse à Chanel », et sacrifié des nuits comme la dernière avant le défilé, 3 heures du mat, elles sont encore toutes là avant de lâcher face à leur robe, « allez ma fille, je ne peux plus rien pour toi ». Dernier épisode, nous voilà au défilé; il pleut des cordes, Anna Mougladis est en retard et les rédactrices de mode, capricieuses. Le sourire à l’intérieur, les mannequins vont défiler, avec 30 000 à 80 000 euros sur le dos devant les ouvrières conviées, tout comme tous ceux qui ont travaillé sur la collection. Une riche cliente américaine aux airs d’une Barbie refaite viendra ensuite dans les salons de la rue Cambon dépenser l’argent de son mari qui a pour le prix, droit de choisir ce qu’elle portera tandis que Loic Prigent finira son joli portrait de groupe par le pot d’adieu de celles qui partent à la retraire. « Ils ne se sont pas foutu de toi » dira l’une devant les deux sacs offert par la maison Chanel avant une séance d’autographe pour Monsieur Carlo comme elles l’appellent dans son dos. Mais bientôt,  les toiles seront à redécouper, cette fois aux mesures des clientes- plus proche du 40 que des 34/36 réalisés sur mannequin. De quoi adapter le rêve à la réalité et payer les salaires à la fin du mois…

Par Laetitia Monsacré

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