17 février 2020
Festival Présences, carrefour de la création musicale sous le signe de George Benjamin

Placé sous la figure tutélaire de George Benjamin, la trentième édition de Présences à Radio France offre un large panorama de la création musicale contemporaine, dans les formats les plus divers, de la pièce instrumental au large effectif orchestral, en passant par les ensembles aux géométries instrumentales variables. On trouve, naturellement, dans ce florilège de pages inédites, nombre de commandes de Radio France.

Dans le répertoire symphonique, et concertant, le concert d’ouverture, avec l’Orchestre national de France dirigé par le compositeur britannique à l’honneur, s’ouvre sur la première française de Ravel à son âme de Gérard Pesson, hommage ciselé de délicates alchimies de timbres métamorphosant les indices pastiches en une évocation sensible où se reconnaît le langage inimitable du compositeur français. Sous les doigts d’Alexandre Tharaud, le concerto pour piano Left, alone de Hans Abrahamsen, également en création française, séduit par la générosité de son flux quasi hypnotique, dans une construction formelle sans doute un peu lâche, tandis que la commande passée à Claire-Marie Sinnhuber, Toccata, offre, avec Vanessa Benelli Mosell, un délicat intermède soliste qui décevra peut-être les attentes de virtuosité contrapuntique que le titre pourrait suggérer. Toujours à l’Auditorium, samedi 15 février, le Philharmonique de Radio France est placé sous la houlette de Kent Nagano, pour une des plus belles soirées du festival. Les quatre minutes texturées des Fanfares d’Helen Grime, jusqu’alors jamais jouées en France, donnent le ton. Créé à Witten en 2019, Man time stone time, commande de Radio France à Ondrej Adamek, témoigne d’un sens jubilatoire de la dramaturgie musicale, quitte à accumuler les effets, où Wood ans bones, commande pour le violoncelle solo d’Eric-Maria Couturier semble se complaire dans une habileté un peu prévisible. Pour rester avec les formations de la radio, le Choeur de Radio France, sous la férule de Martina Batic au Studio 104 le samedi 8, défend la création française du fascinant The Moth Requiem de Harrison Birtwistle. Commande à Sasha J. Blondeau, Urphänomen II.B duplique avec une relative platitude imitative les résonances du piano de Philippe Hattat avec les artifices de l’Ircam, quand la création de la version révisée de Fanfare chimérique se distingue par une foisonnement maîtrisé et sans relâche.

La géométrie chambriste ne manque pas d’être représentée. Samedi 8 après-midi, les Diotima livrent la première française du Quatuor à cordes de Tom Coult, tout en décantation, quand Sintonia, quatuor à cordes n°3 d’Oscar Bianchi, explore les diffractions harmoniques des textures instrumentales au gré d’aplats sonores conduits par un geste musical personnel. Le lendemain, Thomas Lacôte fait entendre la commande qu’il a reçue de la Maison Ronde, sur l’orgue de l’Auditorium : La voix plus loin déploie une belle plasticité où la ponctuation des percussions se mêle à la lumineuse pâte organistique. C’est au Studio 104 que le Trio Catch donne la parole aux cinq miniatures de Pièges de Mikel Urquiza, en première hexagonale, où se reconnaît une assimilation des attendus de l’avant-garde, avec un plaisir certain pour les musiciens, comme pour l’auditeur. Commandes de Radio France, Hop de Dai Fujikura et Février de Lisa Lillean contrastent, respectivement, entre savoir-faire et douceur étale. Le week-end suivant, samedi 15, un autre trio, les Accanto, mettent en avant une autre pièce de Mikel Urquiza, Ex voto, commande de Radio France comme That time de Rebecca Saunders : la première, en cinq parties, décline une large palette technique, en particulier dans les ressources percussives du piano, qui ne cède jamais à la démonstration aride, tandis que la seconde se caractérise par une immersion presque statique qui s’enracine dans l’univers de Beckett. En création française, Satellites de Misato Mochizuki se limite essentiellement à la juxtaposition des trois instruments – du piano au saxophone, en passant par les percussions. Enfin, à l’Auditorium, Florent Boffard fait résonner, dans un programme intelligemment construit, les Trois études paradoxales commandées à Marco Stroppa, quand, le dimanche 16, le Consort de violes Sit Fast, proposent la création mondiale des Lignes de lumières de Grégoire Lorieux, aux allures d’étude.

La création sous tous les formats

Côté ensembles instrumentaux plus spécialisés dans le répertoire contemporain, le London Sinfonietta présente, dans l’Auditorium le dimanche 9, deux commandes Radio France. Si la décantation quasi extatique de Two and six de Christopher Trapani se rapproche de l’installation, avec la déambulation des quatre instrumentistes – deux flûtes et deux clarinettes – au fil d’une partition dépliée sur un sentier de pupitres, [Re]cycle de David Hudry fait entendre une originale et réjouissante polychromie qui investit tous les paramètres du son, sans que cette virtuosité ne verse dans l’exhibition gratuite. Le dimanche suivant, le Studio 104 accueille Léo Warynski et son Ensemble Multilatérale. Les accents volontiers psychédéliques et non dénués d’humour de Soyuz 237 de Lucas Fagin invitent à une reconstitution du parcours de la fusée, en imaginant, entre autres, les bruits à l’intérieur de la capsule, tandis que la seconde commande du programme, Fives stages of a sculpture, restitue le façonnement progressif d’un objet sculpté, au gré de cinq vignettes où la texture et la dialectique de l’écriture se révèle d’une remarquable suggestivité tactile. La saveur du concept rejoint la sensibilité et le savoir-faire de la réalisation musicale. Donné en première française, Übergang I de Yann Robin plonge, avec le langage idiomatique du compositeur, dans la dynamique de la pâte sonore pour traduire l’expérience des états intermédiaires mentionnés dans le Livre tibétain des morts. Enfin, la clôture se fait dans l’Auditorium avec l’Ensemble Intercontemporain, placé sous la direction de Pierre Bleuse, et deux ultimes commandes. L’immersion aux confins du souffle de Noli me tangere d’Isabel Mundry est ponctuée par les caresses des percussions de Samuel Favre. Mais avec son évidente maîtrise toujours inspirée des ressources instrumentales et de la construction formelle, c’est l’entropie poétique d’Urban song de Bastien David qui retient le plus attention et constitue, sans doute, l’une des plus remarquables créations de cette édition 2020 de Présences.

Mentionnons encore la soirée du GRM vendredi 14 au Studio 104. La création française d’Absorber de Laurence Osborn transforme avec l’électronique les motifs du piano de Zubin Kauga, quand Okno, commande passée à Rocio Cano Valiño pour une série d’Alla breve, développe un camaïeu de sonorités brutes retravaillé avec imagination et poésie. Dans la seconde session, l’électroacoustique se fait performance. Si Mécano de Florent Colautti favorise l’entertainement, l’autre commande de Radio France du programme, Il n’y a pas d’autre côté d’Elsa Biston, invite à une fascinante expérience de spatialisation du temps, où l’apparente inertie du tissu sonore est émaillée de petits éclats intermittents. Plutôt que Paysage accident #3 de Julien Beau et Mokuhen, c’est le live électronique de Florentin Ginot et Helge Stein qui résume le mieux la synthèse entre l’expérimentation et la liberté de improvisation, avec un résultat aussi jouissif pour l’intellect que pour les sens. Quant Flux Aeterna, l’installation de Vincent-Raphaël Carinola au vingt-deuxième étage de la Maison de la Radio, elle permet de s’offrir une des plus belles vues de la capitale dans le bain sonore d’une boucle algorithmique réalisée à partir des musiques et sons postés sur le site de France Musique. Plus que jamais, l’édition 2020 de Présences renoue avec la veine originelle du festival et rend justice à la diversité de la création musicale.

Par Gilles Charlassier

Festival Présences 2020, Maison de la Radio, février 2020

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