9 juin 2012
Faiseuse de livres

Claire Debru ressemble à un chat, prenant son temps, assise dans la cour d’un hôtel de Saint Germain des Prés pour pouvoir fumer au calme les cigarettes qu’elle roule elle même. Les livres de sa collection « les Affranchis »ont droit au même sort, « hand-made ». N’est ce pas en effet ce qu’elle fait, mélant douceur et fermeté, pour faire exister cette collection cachetée comme une lettre aux Editions NIL,  invitation faite à des auteurs « d’écrire la lettre qu’il n’ont jamais écrite »? A une soeur que l’on a jamais connue pour Annie Ernaux, à l’ami suicidé pour Nicolas Estienne d’Orves, à l’enfant qu’elle n’aura pas pour Linda Lê, mais également des lettres-roman, de réclamation ou de délation-selon que l’on soit un américain bloqué dans un aéroport (voir article) ou un académicien français blessé dans son amour par une juive sous la plume de Romain Slocombe. Autant d' »enfants de papier »,  loin de la grande distribution et des bestsellers souvent creux même si le public a su en reconnaitre les talents avec Monsieur le Commandant, dernier paru et livre le plus vendu ce mois-ci sur Amazon.

Comment l’idée de cette collection vous est-elle venue?

Je me suis retrouvée moi-même un jour avec trois lettres à écrire, des lettres qui « fermaient des portes ». Je me suis alors demandé combien de personnes avaient été dans cette situation; j’ai pensé à Kafka, cette Lettre au père et imaginé proposer cet exercice à des écrivains, en contactant au départ des petits éditeurs. Puis, je me suis rendu compte qu’il faudrait une grosse structure pour pouvoir donner toutes leurs chances à ses petits livres.

Et les auteurs comment viennent-ils?

L’idée plait mais la difficulté, c’est de tenir sur la durée. Ce sont de faux petits textes, il s’agit de descendre au fond des choses et ce n’est pas forcément agréable. On est dans l’intime et cela n’a rien à voir avec des lettres ouvertes. Cela peut être des lettres qui trouvent leur inspiration autobiographique ou des romans purs comme cette lettre de délation dans Monsieur Le Commandant de Romain Slocombe. L’épistolaire est quelque chose de très riche, le registre est infini.

Comment travaillez vous avec vos auteurs?

La collection repose essentiellement sur les commandes. C’est moi qui contacte les auteurs. Après, j’aime bien leur laisser du temps; de manière générale,  je ne les presse pas, car je sais que ce n’est facile.

Quel est l’auteur que vous rêveriez d’accueillir dans votre collection?

Stephen King,  sans hésitation. Il serait formidable dans l’exercice. Modiano aussi, qui a une oeuvre vraiment très cohérente. Au passage, bâtir une oeuvre c’est d’abord avoir un éditeur qui vous laisse libre de le faire…Puis il y a un travail éditorial. Parfois le texte est parfait d’emblée, il n’y a rien à retoucher, et parfois l’auteur et moi revenons sur tel ou tel passage qui paraît moins soutenu. Ce qui me guide dans cette étape ? Juste mon sentiment de lectrice. Ce moment implique bien sûr une grande confiance mutuelle… Et de la diplomatie ! C’est vraiment le cœur de mon travail. Mais j’ai beaucoup de chance car l’exercice de la lettre unique offre un cadre où les écrivains se sentent à l’aise, il est difficile de se perdre en route comme cela peut arriver avec le roman.

Recevez-vous sinon beaucoup de manuscrits?

Oui, surtout des lettres aux disparus, avec une dimension thérapeutique. Mais ce ne sont pas des écrivains. On porte tous en soi une lettre que l’on a pas écrite, cela ne veut pas dire que c’est de la littérature. Mon travail, c’est de faire des livres. Philippe Sollers disait avec justesse, même si c’est un peu méchant, « la littérature n’est pas un couloir d’hôpital ». C’était l’époque où l’autofiction occupait toute la place…

A quoi voit-on que l’on est en présence d’un auteur, un vrai?

Ce qui fait une écriture, c’est sa singularité. Il arrive que je lise des choses où je retrouve des formules de syncopes propres au langage journalistique ou que je pourrais  entendre à une terrasse de café, qui n’ont aucune âme, aucune personnalité. On sait tout de suite si un auteur est là lorsque l’on est dans l’altérité. Pour autant, je ne m’interdis pas les premiers romans comme celui de Jonathan Miles, Dear American Airlines. Il n’a pas été écrit pour la collection mais il y entrait parfaitement.

 

Comment êtes vous arrivée à ce métier?

J’ai commencé à traduire des livres à 15 ans avec une « rencontre » : l’Attrape-coeur de Salinger. Puis, traductrice, j’ai suivi des études de lettres sans vouloir être professeur. J’ai ensuite été dans plusieurs maisons d’édition, extrêmement différentes, de quoi apprendre vite la réalité du monde de l’édition! Aujourd’hui, je continue à traduire des livres pour les éditions Harlequin et j’ai la chance que cette collection marche très bien malgré cette période où c’est très difficile; depuis  septembre, les ventes ont vraiment chuté. Les gens rognent sur leurs dépenses et les livres sont toujours le premier bien culturel à être touché. La litterature est malheureusement un luxe. Quand vous savez qu’un best-seller, c’est 30 000 exemplaires… Ça reste une industrie moyenne l’édition!

Avez vous peur du numérique?

Non, car cela va obliger les éditeurs a faire des jolis livres. Par exemple, les éditions Wombat qui ont réédité Topor, ont eu un beau succès alors qu’il existait déjà en Point poche, moins cher mais vraiment moche. Les gens ont envie d’avoir un bel objet.

Etes-vous  tentée par l’écriture?

Oui, mais je suis lente. Je prend mon temps…

Le temps, luxe pour ceux qui parviennent à écrire ou lire, à moins que ce ne soit une nécessité absolue pour échapper au flot quotidien. S’affranchir en tous cas, avec cette éditrice et ses livres, loin du brouhaha de nos vies, est de ces moments rares et salvateurs…

Par Laetitia Monsacré

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