24 juin 2013
Echos pianistiques : Berlin versus Vienne

Discret en France, Rudolf Buchbinder est un maître du clavier célébré dans les terres germaniques – à juste titre – qui a plusieurs fois joué avec le Philharmonique de Vienne. Il est d’ailleurs chez lui dans la capitale autrichienne – originaire de Bohême, sa famille s’étant établie dans la capitale autrichienne au lendemain de la seconde guerre mondiale. Mais c’est à Berlin que le pianiste a réservé pour cette saison son intégrale des sonates de Beethoven, au fil de concerts égrenés depuis décembre jusqu’à juin – enregistrés pour une sortie discographique. C’est d’ailleurs le dernier de cette série que nous avons entendu dans la Kammersaal de la Philharmonie de Berlin – une salle à l’acoustique idéale pour le répertoire instrumental et de chambre comme savent les construire les villes germaniques, et à l’aune de laquelle on ne peut que regretter les lacunes des grandes institutions françaises, et en particulier parisiennes…

L’antichambre de l’éternité

Le bouquet final de cette épopée beethovénienne rassemble les opus 109, 110 et 111, témoignage d’une audace sans précédent chez le compositeur, aussi innovateur qu’en marge de la mode romantique. La musicalité fine et la délicatesse du toucher du pianiste autrichien fait merveille dans la succession de petites pièces qui composent la Sonate n°31. Impeccable, la fugue finale dégage un mélange d’aristocratie naturelle et de simplicité. Nulle fioriture dans cette approche, ni humeur orageuse déplacée. Ce Beethoven-là a dépassé ses colères juvéniles et atteint une sérénité hors du temps. L’impression est d’ailleurs encore plus flagrante dans l’opus 111. Vigoureuse, la syncope initiale n’est pas inutilement appuyée. Le sens de la construction, germanique pour certains, ne se fait jamais didactique. Et les variations de l’Arietta exhalent comme un frisson d’éternité. Un moment absolu après lequel tout bis serait superfétatoire.

Piano slave

Le même opus 111 était joué une semaine plus tard par Evgeni Koroliov, à la Mozart Saal du Konzerthaus à Vienne, autre exemple d’écrin intimiste conçu il y a cent ans – bien avant les auditoriums modulables ! Le pianiste russe propose une lecture beaucoup plus tempétueuse – et moins léchée. Riche d’intentions, elle demeure par moments un peu laborieuse cependant. Incontestablement, là n’était pas le sommet d’une soirée qui s’ouvrait sur quatre Préludes et fugues de Bach tirés du second livre du Clavier bien tempéré. L’intériorité voire le recueillement se conjugue à une sensualité discrètement slave. Le vaste Prélude et Fugue en ré mineur de Chostakovitch, ultime numéro de l’opus 87, fait entendre une synthèse entre l’exploration systématique du monde tonal hérité du Cantor de Leipzig et un kaléidoscope d’émotions qui fait songer à Chopin – pour en rester aux deux piliers du genre. La Sonatine de Ravel enfin se révèle à la fois très française dans la variété des couleurs et russe par la texture plus nourrie que transparente du piano de Koroliov. Après un bis consacré à Bach, la soirée se refermait sur le début de la Sonate dite « Facile » de Mozart : détendu, le soliste déborde d’une fantaisie et d’une vivacité réjouissantes. Un excellent viatique pour le retour.

par Gilles Charlassier

Rudolf Buchbinder, Philharmonie Berlin, 10 juin 2013

Evgeny Koroliov, Konzerthaus Vienne, 19 juin 2013

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