24 février 2012
The Berliner- Christian Wulff, un exemple allemand à suivre ?

Quatre minutes. Acculé et questionné depuis deux longs mois, il n’a pas fallu plus de temps pour que le Président allemand Christian Wulff, épaulé par son épouse Bettina, ne présente sa démission  après des semaines de débat qui ont agité l’Allemagne. « La confiance de mes citoyens est affectée. Pour cette raison, il ne m’est plus possible d’exercer mes fonctions. C’est pour cela que je démissionne ». « J’ai commis des erreurs » a-t-il également reconnu lors de sa très courte déclaration à la presse la semaine dernière, tout en soulignant que le comportement des médias à son endroit et celui de son couple les avait « blessés ».  La Chancelière Angela Merkel, qui avait insisté pour que Wulff occupât cette place en 2010, a déclaré quelques minutes plus tard que le président démissionnaire « nous a donné des impulsions importantes. Il a renforcé la diversité du pays. Son épouse et lui ont dignement représenté l’Allemagne à l’étranger ». Elle a conclu son intervention en annonçant que sa coalition se tournerait vers le SPD et les Verts pour pouvoir proposer un candidat commun.
Les média-sociaux ont immédiatement commenté sa démission  et se demandent désormais si Wulff bénéficiera de sa retraite et des avantages attachés au poste de Président. Si la majorité des internautes se félicite de cette décision, une minorité blâme au contraire la presse. L’association des journalistes allemands (DJV) a quant à elle tout de suite rejeté l’allégation d’une campagne anti-Wulff. « Il est du devoir des journalistes de faire un rapport critique sur les affaires politiques et les scandales», a expliqué le président de DJV, Michael Konken. Le chef de l’État allemand ne doit ainsi pas en être exclu.  « L’intensité de la couverture ces derniers mois est le résultat de nombreuses incohérences et de transactions éventuellement criminelles ».

Retour sur le rôle de la presse et les différentes affaires

La presse de boulevard comme Bild – qui a révélé la première affaire – ne vit que de scandales, le nombre de ventes de journaux  primant  sur tout le reste. Elle place quelqu’un très haut comme Christian Wulff ou Karl-Theodor zu Guttenberg pour ensuite le faire chuter, distillant ses informations une par une. Cette dramaturgie représente son fond de commerce. Christian Wulff a été attaqué sur deux faits précédant son arrivée à Berlin, à l’époque où il présidait le Land de Basse-Saxe, et sur un autre depuis. Son premier tort est d’avoir emprunté 500.000 euros à la femme d’un homme d’affaires pour s’acheter une maison (2008) ; il avait obtenu grâce à elle un faible taux de 4% et n’en avait pas informé le Parlement de la région qu’il présidait. Ceci représente un délit de prévarication. Une fois l’affaire sortie par Bild début décembre dernier, Wulff avait alors tenté d’intimider son rédacteur-en-chef en laissant deux messages sur son répondeur. Deuxième grief : il a est soupçonné de trafic d’influence après avoir accepté des vacances tous frais payés par des hommes d’affaires de Basse-Saxe. Enfin, dernier point : Wulff, une fois Président, aurait accepté une voiture Audi pour son propre usage, cadeau du groupe Volkswagen – en tant qu’ancien Ministre-Président de Basse-Saxe, il était à l’époque membre du Conseil d’administration de Volkswagen. Wulff s’était expliqué devant les Allemands fin décembre, mais c’est un Président fuyant ses responsabilités qui avait été observé. Sa victimisation, le fait d’employer « on » plutôt que « je », avait étonné et déçu.

Des critiques grandissantes

La population allemande a ressenti le besoin de réagir tôt. Ainsi une manifestation devant le Château de Bellevue (où siège, à Berlin, le Président) avait-elle rassemblé environ 400 personnes la première semaine de janvier. En signe de protestation, les participants avaient appelé à la démission de Wulff en brandissant (et non jetant) des chaussures. Le slogan répété était « Wulff den Schuh zeigen – Shoe for you, Mr President ! », ce geste exprimant dans la culture arabe la colère et le mépris. L’opposition social-démocrate, le SPD, avait été la première formation politique à commenter l’affaire dimanche 8 janvier. Le secrétaire général du parti, Andrea Nahles, expliquait dans Bild am Sonntag que « l’affaire Wulff est aussi une affaire Merkel », pressant ainsi la Chancelière à convoquer des élections législatives anticipées si Wulff démissionnait.  Et le chef du groupe parlementaire du SPD, Frank-Walter Steinmeier (ancien ministre des Affaires étrangères), s’insurgeait dans le Tagesspiegel contre Mme Merkel qui « ne pouvait pas faire comme si elle n’avait rien à voir avec toute cette affaire ».
C’est le 12 janvier qui a été marqué par la première critique, isolée, d’un parlementaire de la CDU. Puis les critiques ont progressivement émané du parti partenaire de la CDU dans le gouvernement de coalition de centre-droit, le toujours plus fragile FDP. Dans un entretien avec la Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) paru le samedi 21, l’actuelle ministre de la Justice, Mme Sabine Leutheusser-Schnarrenberger demandait à son tour et au Président des explications. Membre du FDP, le parti libéral allemand, elle considérait que Wulff « n’a assurément pas fait de bien à la fonction » qu’il occupe et insistait en disant que chaque homme politique devait savoir à quoi il s’expose.
L’ancien chancelier Gerhard Schröder (SPD), fin janvier, avait quant à lui refusé de dire si Wulff devait rester en fonction malgré l’affaire. «J’ai une opinion, mais il serait faux pour moi de participer à ce débat», avait-il lancé à la Neue Presse de Hanovre dans un entretien. Il y félicitait cependant le président, mais exclusivement pour ses positions claires prises sur les questions d’intégration et de lutte contre l’extrême-droite.

 

L’évolution radicale de la fonction de président de l’Allemagne

C’est la deuxième fois en deux ans qu’un Président allemand démissionne. Après Horst Köhler (CDU) en mai 2010, c’est Christian Wulff, plus jeune chef d’Etat (52 ans) qui quitte le Château de Bellevue. Dans un éditorial publié sur le site du Spiegel, le journaliste Roland Nelles écrit : « Maintenant que Wulff est parti, tout est abîmé : la fonction de Président, Merkel, sa coalition, la conception de la politique en général. C’est la misère ». L’image liée au poste de Président a ainsi été terriblement écornée. Car depuis le discours de Richard von Weizsäcker sur le devoir de mémoire (1985), les Allemands estiment que le président doit être quelqu’un d’irréprochable. Lorsque le magazine Cicero demandait il y a quelques semaines à Joschka Fischer, ancien Ministre des affaires étrangères sous Schröder et Européen convaincu, s’il se voyait devenir Président, il répondait : « Non. J’ai conduit ma vie de façon telle que je ne réponds plus aux hauts principes moraux récemment attribués par les médias aux charges publiques. Bientôt, le président devra marcher sur l’eau, et on lui demandera à la fin s’il acquis cette compétence parce qu’il a été subventionné ».

Le désormais candidat Nicolas Sarkozy n’a eu de cesse ces dernières semaines que de vanter « le modèle allemand » à suivre : l’opposition est aujourd’hui moqueuse, se demandant, à l’instar du sénateur de Paris David Assouline, secrétaire national à la Communication du Parti Socialiste, quel partie du modèle il faut suivre : « la démission ou la prévarication ? » Une certitude : on peut douter qu’un tel acte se produise sur le sol hexagonal…

 

Par Arthur Beckoules

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