13 février 2012
Big Apple à la Géode

Pas besoin de prendre l’avion samedi soir pour se retrouver à …New York! Mais direction le parc de la Villette avec une grosse boule, La Géode pour vous transporter à la gosse pomme, plus précisemment le Metropolitan Opera de New York; Au programme, le dernier volet de la Tétralogie de Wagner,  Le Crépuscule des Dieux.  Sur internet, la semaine précédente, les réservations affichaient complet. Surprise en arrivant, un bon tiers de la Géode est vide. Le papier assassin de Renaud Machart quelques jours plus tôt a-t-il précipité les désistements ? Le critique du Monde avait, lui, traversé l’Atlantique pour voir la mise en scène du Canadien Robert Lepage, et il en est revenu consterné, nous promettant  le pire.
Mais, ceux qui étaient là n’ avaient manifestement décidé de ne pas s’en faire-après tout il y a une vie hors du Monde, non?  Ambiance cool, dégagée, par le froid polaire qui règne,  gros pull et parka étaient de rigueur. Puisqu’il va falloir tenir six heures, on la joue confortable. D’aucuns sont même venus avec pique-nique et thermos. On prend ses aises comme si l’on était au Stade de France…
Sur l’écran, la salle du Met s’ouvre, et le public new-yorkais s’installe. Plans larges sur les tribunes et les lustres. Cadrages serrés sur les visages. Mais la plupart des hôtes de la Géode sont des habitués, ils ne prêtent qu’une attention distraite à ce qui se passe alors de l’autre côté de l’Atlantique… Pour avoir une bonne place, ils sont arrivés tôt. Certains ont amené de la lecture pour patienter jusqu’au lever de rideau. C’est à peine s’ils lèvent les yeux…
Fabio Luisi salue et d’un geste sec et précis lance l’orchestre… L’énorme machinerie conçue par Robert Lepage se met en branle, comme une hydre. Mais elle servira surtout de plateau transformable et d’écran de projection, avec quelques beaux effets saisis par des prises de vue latérale. On comprend pourtant très vite ce qu’il en sera : délice de l’oreille, accablement de la vue. L’interprétation – tant celle de Luisi et de l’orchestre du Met que celle des chanteurs – est parfaite avec une distribution formidable : Deborah Voigt est Brünnhilde ; Wendy Bryn Harmer, Gutrune ; Waltraud Meier, Waltraute ; Jay Hunter Morris, Siegfried ; Iain Paterson, Gunther ; Eric Owens, Alberich ; et Hans Peter-König, Hagen. Le must du moment, selon les spécialistes du Ring. À la baguette, Fabio Luisi remplace James Levine, pour une interprétation qu’il dit vouloir moins « germanique », entendez plus « italienne », plus légère, plus romantique…Au-dessus du lot : Waltraud Meier tout simplement exceptionnelle ; Hans Peter-König impressionnant et Eric Owens formidablement émouvant.
Cependant, si excellents sont-ils, les chanteurs semblent souvent perdus devant cette mécanique, livrés à une mise en scène de patronage, dans des costumes sans inspiration – « pauvre Brünnhilde, habillée façon Pocahontas », dira ma voisine. En entendant Robert Lepage, interrogé pendant l’un des entractes, on comprendra qu’il a tout sacrifié à sa machine, s’en tenant pour le reste à une lecture qu’il dit traditionnelle. Mais la machine finit par être ennuyeuse et dévorante… Avec le dernier acte, on confine au ridicule lorsqu’apparaissent les ondines du Rhin, dans des costumes kitschissimes, à qui Lepage n’a rien trouvé de mieux que de proposer des glissages sur sa machine transformée en toboggan façon Aquaboulevard. Ma voisine pouffe. Un peu plus tard, elle se gaussera du « code-barres » qui s’allume en arrière-plan des chanteurs… Elle consent cependant à trouver un peu de poésie au cheval mécanique de Siegfried, et de poésie à son départ en barque avec Gunther, lorsqu’ils sont partis chercher Brünnhilde, au premier acte…
Quand tout s’achève avec Hagen qui disparaît dans le Rhin, les applaudissements retentissent au Met. Silence dans la Géode. Chacun enfile son manteau, ramasse les reliefs de son pique-nique, enroule son écharpe et se dirige vers la sortie. On gardera le souvenir de la musique – avec elle, on n’a pas senti le temps passer – et on oubliera au plus vite Lepage et sa machine crépusculaire… Et on se donne rendez-vous pour Hernani de Verdi, le 25 février, toujours avec le Met.

 

 

Par Jean-François Bouthors

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