8 février 2023
Zaïde ou Mozart recomposé à Rennes

 

Quinze ans après la reconstruction de Peter Sellars au Festival d’Aix-en-Provence, l’Opéra de Rennes et l’Angers Nantes Opéra en propose une nouvelle de Zaïde, singspiel laissé inachevé par Mozart en 1780, et qui constitue l’un des premiers essais de Mozart dans ce genre lyrique en langue allemande – dont La Flûte enchantée est sans doute l’un des exemple les plus emblématiques. A rebours de la lecture très politique du metteur en scène américain plus proche de l’opéra romantique, Louise Vignaud propose une interprétation nettement plus fidèle à l’esprit du conte philosophique des Lumières, sans verser pour autant dans une reconstitution pseudo-historique d’une œuvre dont il manque l’ouverture et le finale, ainsi que les dialogues, lesquels ont disparu.
Au lever du tulle noir qui sert de rideau, on peut néanmoins éprouver quelque crainte devant l’abrupte scénographie pierreuse dessinée par Irène Vignaud et les costumes de Cindy Lombardi tout aussi vaguement paléolithiques qui donnent aux mahométans des allures de plus ou moins bons sauvages soulignées par les maquillages et coiffures de Judith Scotto. Sous les lumières réglées par Julie Lola Lanteri, l’ensemble s’enracine dans un imaginaire évoquant sans doute les jeux vidéos, tandis que les bouteilles en plastique modelant les reflets de l’écume au pied de roches sont issus d’un programme écologique de ré-emploi de matériaux dans la construction des décors – dans une efficacité sans doute plus militante que poétique.

L’esprit des Lumières remis au goût du jour

Mais la réécriture du livret par la metteure en scène et Alison Cosson, avec un large récit confié à une narratrice, une sorte d’esprit de l’île, dont le nom Inzel (voisin d’Insel, île en allemand) est tout un symbole dans ce huis clos de naufragés, réussit une adaptation habile à notre époque des questions taraudant le siècle de Mozart, et le compositeur autrichien en particulier – la liberté d’aimer, le pardon, la peur de l’étranger. Surtout, et la chose est suffisamment rare pour être soulignée face à la paresse usuelle de l’amplification sonore, la déclamation de Marief Guittier, au visage peint du bleu de la mer et à la coiffe épurant autant les perruques de l’Ancien Régime que les vagues, fait confiance au seul talent d’une comédienne investie jusque dans le murmure, sans l’appui de quelque micro. A l’image des parties chantées qui ne portent pas l’empreinte de quelque turquerie, le texte regarde vers une parabole universelle et bienveillante dans les gènes de la pensée des Lumières, et éclaire, sans lourdeur psychologisante, les ressorts affectifs et émotionnels des personnages. Et, passés les premiers tableaux à l’esthétique qui peut ne pas faire l’unanimité, la décantation du spectacle dans sa résolution dramaturgique sous une éclipse – de soleil probablement ou bien de lune peut-être – distille des pastels délicats aussi agréables à l’oeil qu’à l’intelligence.
Les ajouts et les réorchestrations de Robin Melchior se tiennent à distance de tout pastiche. L’ouverture s’apparente à une anamorphose d’une page mozartienne, de ses thèmes et sa carrure rythmique, dans des couleurs qui rappellent souvent l’écriture cinématographique, parfois Stravinski dans la réinvention du continuo, voire des fragrances de Rimsky-Korsakov dans les alliages instrumentaux, en particulier pour l’harmonie. La scène initiale est retravaillée à la manière d’un mélodrame, sous un format qui réinvente l’arioso et s’écarte un peu des usages originaux. L’écriture vocale du finale révèle une maîtrise de l’héritage mozartien passablement revu à l’ère de Broadway et que la facture orchestrale ne dément pas. Si, comme le travail scénique, celui sur la partition finit par révéler sa cohérence, il ne se départ pas d’une certaine ambivalence esthétique.
Le quatuor vocal n’est pas plus épargné par quelques inégalités. Dans le rôle-titre, Kseniia Proshina affirme une ligne lumineuse, non dénuée de nervosité, mais au fait du classicisme viennois. En Gomatz, Kaëlig Boché lui donne la réplique avec un joli timbre, à l’émission aérée, et une présence honnête. Le sultan Soliman revient à un autre ténor, plus vaillant, mais au médium parfois en manque de définition, voire presque atone. Quant à la basse Niall Andersson, son Allazim ne s’affranchit d’une intonation nasale et engorgée que dans la comédie musicale des dernières pages. Sous la baguette de Nicolas Simon, l’Orchestre national de Bretagne accompagne la vitalité d’une partition contemporaine d‘Idoménée, complétée dans une recréation théâtrale condensée, propice à une tournée qui comptera une dizaine de dates pour une expérience fidèle à l’esprit de Mozart, à défaut de la lettre.

Par Gilles Charlassier

Zaïde, Opéra de Rennes, du 6 au 12 février 2023, et du 26 février au 5 mars 2023 à Nantes, les 15 et 16 mars 2023 à Quimper et les 24 et 24 mars 2023 à Besançon.

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