Passez la porte de la chapelle Saint-Sauveur et vous voilà transporté dans le monde fantastique de Gérard Rancinan et ses œuvres immenses, où l’homme s’enferme dans des bulles pour survivre à l’apocalypse. Sept ans de travail et à l’arrivée la « La trilogie des modernes ». Création surprenante du photographe contemporain français le mieux coté de l’Hexagone. Avec Caroline Gaudriault- sa plume- il forme un duo atypique qui a déjà revisité les chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art, Le Caravage, Matisse, Vinci, Bosch, Velasquez, Delacroix, et Géricault. On se souvient de leur « Radeau de la méduse », somptueux, sur papier argentique à l’ancienne. Cette fois, il mêle le texte aux images, avec des « dialogues », rencontres avec le linguiste Claude Hagège, le généticien Albert Jacquard, l’ethnologue Georges Balandier, ou l’artiste Zhang Huan, des rencontres qui laissent apparaître une société standardisée, oublieuse de ses racines et de son histoire, soumise à la dictature de l’émotion.
Gérard Rancinan défend la diversité culturelle qui se dissout dans l’uniformité de la mondialisation. « On vit dans une virtualité totale ! Pour des enfants qui n’ont jamais vu la mer, Paris Plage fait désormais office de réalité! », ironise Rancinan. Avec « Hypothèses », voici une représentation féroce de l’« Utopie », une photo qui réunit dans une même bulle Mao et sa femme, Jiang Qing, tandis qu’un « traître » attend son exécution les yeux bandés. Hors la bulle gisent ou crient les autres victimes de l’avenir radieux. Plus loin dans l’exposition, voici encore un crucifix cathodique forgé d’écrans noirs. « Rien n’est vrai, tout est exact ! », clame l’artiste. Après de 40 ans de reportage, et quatre Prix au « World Press Photo », pourquoi a-t-il abandonné le reportage de presse ? « C’est de plus en plus difficile de s’approcher de la vérité, explique-t-il. Nous sommes pris dans un carcan, victimes d’une dictature des boites de com, lâchés par des journaux qui ne publient plus de photos de news ». Témoin de l’époque, toujours : « J’arrête le temps, je regarde l’avenir ». Les collectionneurs de Pékin, Hong Kong, Tokyo et Paris, les musées achètent les photos de Rancinan, 40 à 60 000 euros le tirage monumental. L’intégralité de cette trilogie sera présentée en mai 2012 au musée de la Triennale de Milan. « On n’en sort pas intact ! », confie un visiteur. Sa vision dérange, est-elle trop pessimiste ? « Plutôt réaliste, éveillée, » répond le photographe qui finit par concéder: « peut-être tragique… »
UG
Exposition « Hypothèses », jusqu’au 14 novembre, à la chapelle Saint-Sauveur d’Issy-les-Moulineaux. « Hypothèses », de Caroline Gaudriault et Gérard Rancinan, éd. Paradox, 49 euros.
Gérard Rancinan s’attaque au mythe des utopies de la révolution culturelle chinoise