En s’installant dans les confortables fauteuils du Théâtre Artistic Athévains et jetant des coups d’œil alentour, on ne peut s’empêcher de constater que l’opéra, même bouffe, n’attire pas la dernière jeunesse… Pourtant la nouvelle création que propose Anne-Marie Lazarini mérite un succès populaire, tant pour l’originalité du choix effectué au sein d’un répertoire trop souvent oublié, que pour l’efficacité de la mise en scène qui a su mettre en évidence les éléments burlesques de l’œuvre. Ce « Dramma Per Musica » raconte l’histoire rocambolesque d’un apothicaire vénitien-Sempronio ou Lo Speziale, interprété par Jean-François Chiama, tombé sous le charme de sa pupille, la belle Grilletta, qui voit ses avances devancées, d’abord par son apprenti puis par un dandy de passage, répondant au nom de Volpino. De déclarations passionnées en subterfuges des plus grotesques, le triangle amoureux verra triompher la sincérité des sentiments face à aux mensonges et à la roublardise. Dans cet opéra-bouffe peu joué, Haydn a su tiré le meilleur du texte de Goldoni pour produire une de ses treize œuvres lyriques italiennes, une œuvre « d’avant-garde » de 1768 à travers laquelle le génie de Mozart se fait pressentir.
La beauté, par la simplicité
Avec quelques éléments simples de décors – des façades peintes, des bancs indiquant la période de l’aqua alta, lorsque l’eau des canaux inonde les parties basses de la ville, une petite piazzeta surélevée où s’installeront les musiciens – l’impression de Venise est fidèlement rendue. Sur l’aire de la marche Turque de Mozart, interprétée au piano forte par la chef d’orchestre Andrée-Claude Brayer, qui a également adapté la partition, les musiciens entrent en scène, d’abord anonymes derrière leurs masques blancs et dans leurs costumes noirs, comme des vénitiens ordinaires se retrouvant à la fin du carnaval, ils dévoileront bientôt leur visage et tomberont la lourde cape pour prendre place derrière leur pupitre. La musique ouvre le spectacle. Légère et enlevée, l’orchestration, réduite au minimum – six musiciens – soutient avec grâce et élégance l’entrée cartoonesque du quatuor vocal. La maîtrise des voix restera durant toute la représentation d’une justesse impeccable, donnant la part belle aux résonances graves de la tessiture de Laurent Herbaut – un Volpino originellement écrit pour une femme dont on a ici confié le rôle à un baryton, avec succès – et aux vocalises majestueuses de Grilletta. La mise en scène est parfois un peu désuète, à l’image du décors et les émotions sont souvent surjouées, mais c’est ce qui fait le charme naïf de ce spectacle. Seul bémol, le choix de traduction opéré pour l’occasion; des mots choisis pour leur proximité sonore avec l’original italien, afin de focaliser l’attention du spectateur sur le chant, plutôt que sur le sens des termes, quitte à faire des contre-sens et à utiliser des faux amis. En dépit de cette bonne intention, cela conduit à une compréhension parfois difficile du texte, avec un public un peu trop occupé à tenter de déchiffrer le sens des paroles des chanteurs…
Par Romain Breton
Lo Speziale, au Théâtre Artistic Athévains, jusqu’au 12 février.