20 mars 2013
Quand la justice marche sur la tête

C’est rive gauche, au Théâtre du Vieux-Colombier que la Comédie Française se paye chaque jour La Tête des autres. Cela commence par une victoire de l’éloquence. Une tête va tomber grâce à la verve imparable d’un procureur sans état d’âme, et qui, avec cette nouvelle victoire, se dirige tout droit vers une carrière exemplaire. Ses amis exultent, sa femme se pâme, ses enfants l’admirent et son collègue le respecte. En quelques répliques, Marcel Aymé plante une situation dérangeante à l’ironie noire et corrosive. Mais ce cocon conçu autour de valeurs douteuses va bientôt éclater en divers morceaux de haine et de jalousie suite à l’irruption du condamné à mort dans le salon de son bourreau. Dans une mise en scène aux multiples références cinématographiques, Lilo Baur offre un regard nouveau sur cette pièce datée qui démontre sans indulgence la corruption profonde de la justice et comment elle accorde grossièrement à certains hommes le droit de vie et de mort sur leurs semblables. Empruntant sa musique et son atmosphère aux films noirs des années 50, le climat de cette comédie grinçante est poisseux et décalé et sera peu à peu investi par la figure incontournable du genre, le mafieux notoire au pouvoir d’une ampleur étatique.

 Un ensemble inégal

 Davantage connu pour ses contes, Marcel Aymé signe avec cette pièce une satyre de la magistrature et de la bourgeoisie qui fit scandale lors de sa création en 1952. Reprendre ce texte imparfait aujourd’hui était risqué et la beauté des costumes et des décors n’est pas parvenue à masquer la lourdeur de certains dialogues et la personnalité caricaturale des protagonistes. En tête d’affiche – c’est le cas de le dire ! – Laurent Lafitte – Valorin, le condamné à tort – est excellent dans son rôle de justicier ordinaire, d’innocent humaniste en quête d’une vérité embarrassante. Mais on croit difficilement à son personnage de musicien de jazz aux mœurs faciles et sa détermination pour révéler la véritable identité du coupable perd de sa crédibilité à force d’obstination. D’autre part, Florence Viala – Roberte Bertolier, la maîtresse du procureur, à l’origine de nombreux scandales qu’on veut taire à tout prix – incarne une femme fatale, blonde et sensuelle qui agace par ses minauderies incessantes et sa diction suave et traînante. On regrette aussi un traitement parfois maladroit des ellipses qui rendent incompréhensible l’évolution psychologique des personnages – comme l’attirance soudaine de Juliette, la femme du procureur, pour Valorin. Bref, si on rit volontiers de la cocasserie des situations ainsi que du grotesque des personnages et qu’on admire de bon cœur la maîtrise esthétique du spectacle, il y a de quoi rester sceptique quant à l’intérêt de cette reprise dans la programmation actuelle de la Comédie Française qui sait pourtant si bien redonner vie à des vieilleries, comme en témoignent ses dernières adaptations de Feydeau et de Labiche.

Par Romain Breton

 

La Tête des autres, par la Comédie Française, jusqu’au 17 avril au Théâtre du Vieux-Colombier.

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