15 janvier 2019
Les Invisibles, tous ensemble

C’est le propre des bons artistes: sentir le temps. Sachant qu’un film est tourné environ un an avant sa sortie, nul doute que Louis-Julien Petit, le réalisateur du film Les Invisibles, sorti mercredi dernier, a eu ce que l’on appelle « le nez » creux. Réaliser un long métrage sur des femmes SDF qui jouent leur vrais rôles dans un docu fiction se déroulant dans le nord de la France ne devait pas forcément séduire beaucoup de producteurs. Oui, mais voilà quand on ne triche pas et qu’en plus on a du talent- revoir Discount, sorti en 2012- et que l’on s’adjoint une « dream team », géniale Corinne Masiero, Audrey Lamy, bouleversante en Che Guevara des pauvres,  Déborah Lukumuena- la révélation de Divines, Caméra d’or à Cannes et Noémie Lvoski, c’est la première place du box office pour un film très « Gilets jaunes. »Il y a d’ailleurs un, tout sale, sur le dos de cet homme qui travaille dans une déchetterie et « choisit la plus moche » lorsque son coeur esseulé se met à battre. « On emmerde personne et on est emmerdé »; voilà sans doute un cri de ralliement que les manifestants GJ pourraient reprendre à ces femmes lors de l’évacuation à 6 heures du matin, forcément violente, de leurs tentes sur un terrain vague. Des hommes passent ensuite, portant des combinaisons et des masques à gaz, nettoyer toute cette misère que la société n’accepte pas. Pas plus que ceux qui s’en sont sorti n’acceptent d’aider une femme qui sort de prison.

« Je suis là »

De la difficulté à se réinsérer, voilà bien le sujet de ce film tout en émotion, avec ces gros plans de visages de femmes, loin du botox qui ravage généralement les écrans. « Tu as vu comme elles sont belles! »; sous l’objectif de la caméra, Lady Di, Brigitte Macron, Françoise Hardy, Dalida, Simone Veil, autant de pseudonymes que ces femmes se sont choisis, vont réapprendre à s’exprimer, à revivre, et non plus survivre grâce à la volonté chevillée au corps de l’Envol, ce centre d’accueil de jour pour femmes SDF. Un « Emmaüs » version femme où l’on bricole, entre jeux de rôles pour vider son sac et maquillage de CV – une dépression en HP devient un « stage de remise en forme »- dans une société où la fiche de paye sert de sésame. « Je suis là », c’est également de reconnaissance avant tout que ces femmes ont besoin, en un mot d’amour et d’empathie, ce que la bande originale très présente illustre avec force et délicatesse,  sur fond de critique de cette société qui exclue dès le plus jeune âge, comme l’illustre implacablement  le regard plein de dégout des deux fils de Noémie Lvoski, bénévole bien intégrée, lorsqu’elle fait monter dans la voiture familiale une SDF et ses deux gros sacs. La honte, cette double peine, c’est aussi le drame de ces femmes; alors, dans cette scène finale où emplies de fierté, elles défilent devant les CRS comme des top modèles sur un catwalk, c’est les larmes aux yeux que vous quitterez la salle, avec cette idée, qu’à plusieurs, on est définitivement plus fort.

LM

 

 

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