Liza Fetissova, est une dénicheuse, une défricheuse de talents. Nichée entre République et Arts et Métiers, elle présente sa nouvelle exposition Corps Révélés, au chaud de sa galerie qu’elle a opportunément baptisée le Russian Tea Room. Spécialiste de photographie russe et des pays de l’ancien bloc de l’Est, elle expose clichés d’époque et d’artistes contemporains pour présenter une histoire subjective et imagée du corps, de la période soviétique à nos jours.
De Potemkine à Playboy
Il suffit de jeter un oeil à ce très beau portrait d’une femme souriante en chemise à boutons, les mains dans les poches et chevelure au vent, que le célèbre photographe lituanien Antanas Sutkus dénomma La Tentation en 1978 et de se retourner pour regarder dans les yeux cette Bunny Girl, Playboy en main, photographiée à Moscou par Igor Moukhin en 2005 pour saisir les profonds changements dans la représentation du désir depuis la fin du régime des Soviets.
Des tsars d’hier aux Oligarques d’aujourd’hui, la vie dans les pays ex-soviétiques a toujours été rude, difficile, sans compromis. Corps élancés, étirés, tendus dans une architecture monumentale, dépouillée, oppressante. C’est cette dureté contemporaine en noir et gris que montrent les nus sculpturaux qu’Evgeny Mokhorev pris dans la forteresse de Kronstadt, haut lieu tant de la révolution que de la répression soviétique. C’est aussi cette fausse légèreté de la classe aisée que montrent les corps dénudés, en bas de soie et talons aiguilles que Dasha Yastrebova capture en noir et blanc sur les canapés couteux de la nouvelle jet-set moscovite
Non content de photographier les «Girls», Igor Moukhin, qui compte certaines de ses oeuvres parmi les collections du MOMA de New-York et de la Galerie Tetriakov à Moscou, s’est aussi entiché de bronze, de pierre et, ô surprise pour un russe, de nostalgie, dans une série intitulée Monuments Soviétiques. Ces clichés qui montrent des monuments perdus au loin ou des détails d’héroïne du prolétariat aux muscles saillants figés dans le bronze, donnent, par contraste, une étrange profondeur aux images d’Antanas Sutkus. Les femmes qu’il photographia dégagent un tel naturel, une telle vie par leur regard, par leur manière de faire face au photographe ou simplement de se poser dans l’espace, qu’il est difficile de ne pas devenir à son tour nostalgique de cette féminité sans fard envolée avec le développement de la publicité…
De nostalgie, les petits formats d’Igor Savchenko en sont remplis avec ces personnages réels et morts depuis longtemps, qu’il isole et retravaille pour récréer, à partir de photos d’anonymes, des clichés porteurs d’une grande poésie. Ces miniatures en noir et blanc, parfois rehaussées de couleur, servent naturellement de pendant aux nus et portraits de la dernière trouvaille de la galerie, la jeune photographe Margo Ovcharenko, qui, du haut de ses 24 ans, photographie amies et amants avec une pudeur et une précision qui frappe par son mélange de classicisme et de modernité violente.
Le plaisir en fil rouge
L’accrochage de l’exposition n’a aucune volonté historique, chronologique ou didactique. Assez élégamment, comme dans ces cabinets de collectionneurs russes du début du XXème siècle, Liza Fetissova a ordonné la chronologie de son exposition comme une balade poétique mélangeant les formats, les datations et bien évidemment ces artistes qu’elle vend et défend. Pourtant, loin d’être un patchwork désordonné, les images se font écho entre elles, chacune amenant à la suivante par un détail, une position ou une association d’idée. Les photos s’enchaînent ainsi suivant un fil rouge qui montre plus qu’il n’explique, laissant au chaland, au visiteur, au collectionneur comme à l’amateur, le plaisir d’inventer sa propre histoire intime de ces corps révélés…
Pour les amateurs, il est conseillé de discuter avec la galeriste car, en marge de l’exposition, elle possède en réserve nombre d’épreuves de qualité qui font jeter un regard totalement différent sur la photographie de ces pays que l’on connaît bien peu.
Par Matthieu Emmanuel
Corps Révélés à la Galerie RTR, 42 rue Volta – 75003 Paris www.rtrgallery.com jusqu’au 2 février 2013