13 juin 2017
Guy Savoy, l’énergie en cuisine

C’est le vendredi matin, dès neuf heures, qu’il convient de venir interviewer Guy Savoy. Au menu du petit déjeuner, viennoiseries à tomber à la renverse en salle, avec tout le tralala qui sied, mais si vous l’avez « bonne », le chef vous entraîne en cuisine, le making of, que certains clients sont prêts à payer le double. C’est alors, à la volée, tantôt une tête de cochonnet de lait, une mousse au chocolat, des huitres, le plateau de fromages à goûter,  tout les premiers de sa brigade autour de lui, loin des commis qui depuis une heure cuisent, moulent, roulent, chacun à son poste.

Mais nulle ambiance d’armée; le « oui, chef »- oubliez. Guy Savoy est là où il doit être, dit ce qu’il doit dire, bref, il en impose non par la force mais par l’efficience. Point barre, la sauce est faite. Non pas sans art, comme cette oeuvre composée en allumettes dans l’entrée des cuisines où se concoctent, jour après jour, une gastronomie des plus vivantes.

Cela au prix de quatre heures de sommeil, depuis quinze ans, « Plus j’ avance dans le temps, moins j’ai besoin de sommeil », précise, sourire aux lèvres, Guy Savoy qui nous reçoit à l’Hôtel de la Monnaie, restaurant tout de noir vêtu qu’il a imaginé avec son ami, le célèbre Jean-Marc Wilmotte, après un vrai parcours du combattant. Pour autant, il  refuse le qualificatif de  » boulimique » mais quel parcours! En voici les grandes lignes, avant qu’il n’attaque une autre interview avec une TV singapourienne et le sacro-saint service du midi.

 

Comment faites-vous pour tout faire?

J’ai toujours eu beaucoup d’énergie; je crois qu’elle se nourrit de la passion Les ingrédients se mettent en place avec aussi les défis. Dans nos métiers, il en existe deux chaque jour: le déjeuner et le diner, entre les deux, vous ne pouvez pas avoir d’état d’âme. Le dossier n’est pas sur le coin de la table , nous, c’est du concret qui doit être réglé deux fois chaque jour, comme une horloge.

Jamais de lassitude?

L’autre défi, c’est que ce ne soit pas répétitif. On ne sait jamais comment cela va se passer, quatre table qui vont arriver en même temps, c’est un mouvement permanent. Mon métier est tout sauf scientifique.

Vous aimez l’imprévu?

Oui, c’est pour cela qu’il faut qu’on soit bons pour pouvoir gérer ces moments-là. C’est excitant lorsque c’est réglé; quelque chose qui se fait facilement ne vous donne pas autant de satisfaction.

Mais pourquoi multipliez les projets comme tant de chefs aujourd’hui? Un seul restaurant, ce n’est pas suffisant?

Il y a une part de jeu dans cela, mais je ne parcours pas la planète! Je n’ai, désormais, que le restaurant de Las Vegas qui me tient particulièrement à coeur. Singapour et Doha j’ai arrêté. Il y a l’envie de faire des choses mais pas de manière désordonnée.

Comment se passe une journée de Guy Savoy?

Je suis arrivé hier à 8 heures 45 pour travailler en cuisine et mettre la carte de printemps en place. Ensuite, il y a eu l’expert comptable puis après, le début du service à midi. A 14 heures, j’ai fait dans le cadre de Champions à l’école une conférence devant des adolescents; j’ai tellement souffert des sarcasmes quand j’étais jeune lorsque j’ai dit que je voulais être cuisinier…Puis j’ai attaqué le service du soir qui commence à 19 heures 30 pour finir à minuit et demi. Toute la semaine, mes journées font environ quinze heures et demi.

Et la famille dans tout cela?

Ce n’est pas le nombre d’heures que l’on passe avec les proches mais l’intensité qui compte. L’éducation est dans la standardisation, j’étais très rebel dès le départ. Je voulais être cuisinier avec une vraie passion: manger. Ma mère adorait faire la cuisine. Le matin, mon père préparait le petit déjeuner. Je rentrais tous les déjeuners à midi, comme mes enfants qui venaient déjeuner avec leur mère le midi lorsque mon restaurant était dans le 17 ème arrondissement à Paris.

Comment êtes-vous passé « rive gauche » et vous êtes vous retrouvé à l’Hotel de la Monnaie?

Je suis resté vingt huit ans rue Troyon tandis que les dirigeants de la Monnaie cherchaient que faire de ce lieu défiguré par des bureaux. En 2009, il y a eu un appel d’offre pour y faire un restaurant gastronomique. En arrivant ici, j’ai eu un coup de foudre, en voyant en une demie- heure comment cela pouvait s’organiser. C’est le caractère même (et le talent) des gens qui sont dans le concret, on est pas devant un écran, c’est un vrai kiff. C’est pareil pour mon ami architecte-décorateur, Jean-Pierre Wilmotte, on se comprend en trois secondes. En mai 2010, mon dossier a été retenu, et on a ouvert en 2015, avec des autorisations très compliquées à obtenir; rien que la signalétique , quelle gageure!

Mais, vous n’êtes pas homme à vous décourager, il me semble…

La seule mauvaise nouvelle que l’on puisse m’annoncer est que j’ai un cancer, le reste ne m’atteint pas beaucoup. Les difficultés des gens me touchent mais je ne supporte pas les états d’âmes. J’ai de la chance, j’ai des équipes de jeunes absolument formidables. C’est le meilleur élixir!

 

C’est sur cette phrase de sage que Guy Sovay conclut cette interview tambour battant, nous invitant à le suivre en ses cuisines, pour découvrir justement l’équipe- sans femme-qui est derrière le grand chef et l’accompagne au quotidien, au milieu d’oeuvres d’art contemporain, non loin des salles écrins, où il faut réserver son couvert des mois à l’avance et faire chauffer sa carte dorée ou platine. Le prix de l’excellence.

Par Laetitia Monsacré

 

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