9 février 2012
Tintin au pays de notes

« Certains essayent de vous vendre l’intelligence sans avoir d’échantillon sur eux ». Jean François Zygel ne risque pas d’entrer dans cette catégorie que Coluche avait épinglée. Chez lui tout transpire la musique, y compris son appartement où les CD et partitions occupent le moindre espace. Un bordel très organisé et joyeux, tout comme lui, perfectionniste jusqu’au bout des doigts, ce qui tombe bien pour un pianiste. Avec lui, il faut trouver le mot juste à l’instar de la note sur le clavier. Et ne pas vouloir savoir trop vite le pourquoi du comment, non, il faut prendre le temps comme le thé qu’il sert et dont il respecte religieusement la durée d’infusion. « Vous avez une tête à aimer le thé » m’ a-t ‘il dit après après avoir disparu dans sa cuisine, me laissant le temps de parcourir sa collections de livres allant d’ Apollinaire à Whitman en passant par Rimbaud, avec en  haut de la bibliothèque, un disque trophée, le Choc de l’année 2011 , récompense ultime pour son album « Double Messieurs », où il improvise avec son ancien camarade du conservatoire, le pianiste Antoine Hervé.

Comment expliquez vous votre aisance sur scène et à la télévision?

Mais je ne suis pas un animateur! Je suis un musicien.

S’ensuit une longue discussion où il refuse d’être qualifié comme animateur, malgré son Wikipédia qui reprend l’ensemble des émissions auxquelles il a prêté son talent et dont il réfute le contenu.

Votre biographie, alors?

Je suis contre – ça fait généraux soviétiques. On se présente à quelqu’un pour le faire rêver, pour lui apporter de la lumière,  pas pour se faire engager!  Savoir le temps qu’on a mis au 50 mètres nage libre quand on avait onze ans, je ne vois pas bien l’intérêt. Non, la seule chose qui compte à mes yeux, c’est mon projet artistique. Je suis un artiste ; Sainte Beuve disait que la vie d’un artiste éclairait son oeuvre,  Proust, lui pensait l’inverse. Ce qui m’intéresse, moi, ce sont les oeuvres de Brahms, pas sa vie. En plus, en musique, les biographies sont toujours fausses, on invente des légendes…Simplement, je pense que dans un concert, il y a de nouvelles formes à inventer;  notamment qu’il n’y a pas de raison de ne pas pouvoir parler au public, ni de ne pouvoir s’occuper des lumières et de mélanger les différents types de musiques sans oublier l’improvisation, laquelle, ne l’oublions pas était au coeur de la musique classique du XVIIIème ou XIXème siècle.

Quel a été le déclic dans votre carrière? 

Vers 26 ans, ça marchait bien pour moi, il y avait tous ces petits concours de toutous,  ces concerts classiques où personne ne se demande pourquoi on fait les choses, comme saluer à la japonaise et  à la fin faire semblant de sortir. Je n’ai pas été satisfait par le fonctionnement de cette musique classique, par cette façon dont on affiche son appartenance à une classe sociale. La musique classique m’apparaissait comme une chose morte, une reproduction, de la conservation, et non pas comme de la création et du partage. La plupart de ces artistes jouent pour eux-mêmes ou pour être dans des gazettes et les journaux.  J’ai voulu sortir de ce salon.

Qu’avez vous fait alors?

Il fallait d’abord changer de lieu, aller dans des salles modernes comme internet ou la télévision; je n’ai pas eu l’intention de devenir un homme de média mais d’aller tout comme Glenn Gould ou Bernstein essayer d’autres endroits. Ensuite, il a fallu réintroduire l’improvisation, un moment très vivant, très original,  qui rend le concert créatif et très original. Pourquoi ne pas collaborer aussi avec les autres arts? La danse, le cinéma et ne pas mettre fin à cette distinction entre les genres musicaux? On est tellement fier de notre musique classique  que l’on ne peut pas y ajouter du slam, de la musique électronique? Et enfin pourquoi pas la parole? Liszt n’hésitait pas à présenter certaines de ses pièces. Cela dit,  parler pour moi est juste un élément du spectacle , ce n’est pas l’objet principal, je ne suis donc pas un animateur. Le clou est enfoncé. Ma grande angoisse d’ailleurs, lorsque je finis un spectacle comme le dernier au Châtelet sur Schubert, c’est avant tout de savoir si j’ai bien joué, improvisé au piano. En tout cas, je ne voulais ni dépendre de l’argent avec une carrière commerciale ni de la reconnaissance de mes pairs.

Qu’est ce qui vous attire aujourd’hui?

Ce qui est nouveau;  Mozart et Schubert ne m’intéressent aujourd’hui que comme musiciens contemporains. J’écoute d’ailleurs très peu de  musique classique. J’aime la faire, c’est tout. Je pense que je suis très attiré par l’immatériel. La musique, contrairement aux autres arts, n’est pas un commentaire du monde- elle ne le décrit pas, elle en donne l’essence.

Je vous vois entouré de livres. Vous lisez pour vous détendre?

Pourquoi faut il se détendre? Je ne trouve pas que ce soit un bien d’être détendu. Je dirais même que le bien, c’est d’être tendu. Et puis, je suis comme tous les créateurs donc plutôt préoccupé ou inquiet. Je pense que que l’angoisse fait partie de l’acte créateur. Je me souviens avoir entendu Thomas Bernhard dire « parfois je me lève tout va bien, il fait beau:  voilà une journée de perdue8″. C’est court la vie, j’ai encore plein de choses à faire. En fait,  c’est l’intensité qui m’intéresse pas la détente. Moi, je voudrais des massages non pour détendre mais pour tendre! Ce n’est pas parce que j’ai un personnage de scène ludique que je le suis réellement! Dans la vie, je suis d’ailleurs plutôt quelqu’un d’inquiet, parfois même  désagréable!

Qu’est ce que l’exposition médiatique a changé pour vous?

Le fait que mon nom devienne synonyme de « la salle va être remplie »  m’a permis de faire des spectacles très contemporains, parce qu’au fond, c’est ça ce que je suis, un compositeur, un créateur. J’adore le surréalisme et Dada,  j’aime me jouer des codes. Dans chaque spectacle, je m’amuse de cela, le mélange des genres, le kitch, le pop art- de quoi dérouter le public bourgeois.  Mon but à moi, c’est aussi d’inventer de nouvelles formes de concert, de nouvelles manières de faire de la musique.

Vous aimeriez créer un opéra?

Beaucoup, mais voilà qui passe par l’écrit et c’est une vrai vie de moine que de composer; je n’en suis pas encore capable  . Ce que je fais aujourd’hui, créer, interpréter, improviser, c’est  être comme un directeur de cirque-on parcourt le monde, et j’aime trop beaucoup ça. En ce moment, je donne plusieurs concerts par semaine, un peu partout en France.

Vous faites quoi entre les concerts, dans le train par exemple?

Je travaille, je lis les partitions, je regarde par la fenêtre. Ou je parle avec les gens. J’adore depuis que je suis tout petit parler avec des inconnus,  vous savez comme dans les romans de Stefan Zweig.

Je lui fait alors remarquer que lui, Jean François Zygel,  est une personne connue…

Oui, c’est le défaut, sauf que ça me permet d’engager la conversation!  Ce n’est pas une bénédiction d’ailleurs d’être connu, ça isole beaucoup, disait Madame de Stäel. En revanche, cela permet de faire des choses. C’est un de mes moteurs je ne peux pas le nier, mai c’est une faiblesse aussi. Je n’en suis pas très fier.

Nous parlons alors de ses parents, anciens communistes, et de cette musique qui était une » ombre » dans son enfance, de cette drogue que sont les journaux pour lui et de ces petites obsessions qui le cadrent- sorte de « religion privée ». La « biographie » finit donc par s’ébaucher,  avec cette idée qui lui est chère, que l’enfant saisit et capte le désir de ses parents- pour lui, des intellectuels immigrés polonais auxquels la musique résistait tout en les fascinant.

Pour conclure, je veux que les gens en veulent encore et encore. Je crois que je dois ma survie au fait que j’ai réussi à capter l’attention. Donc, je fais partie des gens qui, lorsqu’ils arrivent sur scène ont ce qu’il est convenu du charisme. A partir de là, tout le problème est de savoir ce que j’en fais et  que je fasse en sorte de produire des belles choses avec. L’important c’est la flamme, ce n’est pas le bois qui l’alimente.

 

Le thé est maintenant froid. Deux heures ont passé, la discussion devient religieuse, puis philosophique; il pourfend l’intellectuel pur mais également le ressenti pur, à la recherche du juste milieu. A le voir sur scène ou à l’écouter jouer, il semble qu’il l’ait trouvé…


Par Laetitia Monsacré

 

 » Double messieurs », disponible chez Naïve avec DVD inclus

Prochain Concert de l’improbable au Théâtre du Châtelet le 20 mars à 20 heures 30 avec « Tais-toi et Brahms » et le 11 février à 18 heures les Clefs de l’Orchestre- Serge Prokofiev

 

 

 

 

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