7 janvier 2012
Zone de turbulence

Si 2011 a été l ‘année de tous les records pour le cinéma français avec une fréquentation des salles record- on n’ avait pas vu ça depuis 45ans- et des cartons comme « Intouchables » (plus de 17 millions d’entrées) ou « Rien à déclarer » – 8 millions d’entrées, la liquidation le 15 décembre dernier du groupe de postproduction “Quinta Industries” pourrait venir ternir ce joli tableau dans les mois qui viennent. En effet, la faillite de cinq filiales du groupe menace la sortie de nombreux films français, on parle aujourd’hui de 61 œuvres sur la sellette, soit plus du quart de la production cinématographique pour 2012!
Les préjudices financiers s’annoncent faramineux-entre 400 et 450 millions d’euros- et les conséquences économiques et culturelles irréversibles selon Thierry de Segonzac – Président de la Fédération des Industries du Cinéma.
Les responsables? La concurrence effrénée entre laboratoires, la désinvolture des producteurs et les imprévoyances du CNC sont sans aucun doute à l’origine de cette faillite.

Révolution numérique

Les laboratoires ont subi le choc structurel de la révolution numérique. Le photochimique, la pellicule, sont voués à mourir. Le passage des bobines à des copies numériques s’est fait plus rapidement que prévu : l’immense succès du film « Avatar », de James Cameron, a rendu obsolètes les salles qui ne pouvaient faire de la 3D. A partir de ce moment, la mise en place du plan de numérisation des salles de cinéma lancé par le centre national du cinémas (CNC ) – 58% des salles d’ici à fin septembre et 100% dans un an – a accéléré la chute de LTC, la société incontournable du pôle image de Quinta Industries, spécialiste du tirage de copie de films. Son activité a ainsi baissé de 80% suite à l’arrêt des tirages des copies argentiques.
De plus, les subventions sont allées aux exploitants de salles au moment même où les laboratoires devaient consentir à des investissements pour renouveler leurs équipements.

Des fonds publics qui ne sont jamais arrivés

Plusieurs sociétés en ont souffert, la réalisation des copies à l’ancienne étant une source de revenus importante. Seul le groupe historique Éclair, dans le rouge en 2009, a traversé la tempête. Pour Quinta et son actionnaire principal, l’homme d’affaires franco-tunisien Tarak Ben Ammar, il semble qu’il soit trop tard.
Leader européen spécialisé dans la post production image et son, le groupe Quinta traitait 30% au bas mot des films produits en France. Composé d’une mosaïque de métiers et de savoir faire, ses différents labels tels Duran Duboi (effets spéciaux et virtuels), Duboi, LTC, Scanlab (laboratoires vidéo et numérique)  SIS (auditoriums de Joinville et Boulogne) ont tous été placés en redressement judiciaire, avant leur prochaine liquidation.
200 postes ont été supprimés ! Tarak Ben Ammar nourrissait un dernier espoir : l’argent du grand emprunt qui devait servir à la numérisation de 10 000 films du patrimoine français. La numérisation de la crème du cinéma français, sa mémoire, aurait pu rapporter entre 50 000 et 60 000 euros par long-métrage. Les fonds devaient être débloqués en septembre. Deux ministres -Frédéric Mitterrand et Éric Besson, lors du dernier Festival de Cannes, avaient signé l’accord en grande pompe. La crise financière a tout gelé. Le dossier Gaumont, premier de la liste, vient d’être ajourné… Ne voyant rien venir, LTC, criblé de dettes, a jeté l’éponge. Éclair est désormais en position dominante pour reprendre le flambeau face à de petits laboratoires de province.

Des créances en suspens pour des millions d’euros

Les producteurs de films, qui s’effarouchent de la situation, ont aussi leur part de responsabilité dans la faillite de LTC. Ils ont profité de la concurrence effrénée à laquelle se sont livrés les laboratoires, accordant de nombreuses remises et des délais de paiement à 180 jours. Mieux ! Les labos ont servi de banquiers aux producteurs qui se sont gavés et ont laissé d’énormes factures impayées. Ne parvenant pas à boucler leur financement, ils promettaient de payer les laboratoires sur les recettes du film. Les succès, comme on le sait, sont rares en salle… Au cours des quinze dernières années, l’ardoise des producteurs vis-à-vis de LTC s’élève ainsi à… 39,1 millions d’euros. Malgré cette situation préoccupante, le CNC a assuré  être «fortement mobilisé pour garantir la sortie des films en salles et la pérennité des collections».
Pour l’instant, la moitié des films sur les 61 concernés ont trouvé une issue favorable à cette crise, le sort des autres restant en suspens.
Suite à la réunion organisée jeudi 22 décembre avec l’ensemble des professionnels du cinéma, Le CNC a attiré l’attention du liquidateur sur la nécessité de traiter les films par degré d’urgence en fonction de leur date prévisionnelle de sortie en salle. Grâce aux différentes démarches entreprises depuis la mi-décembre, « Une Nuit «  de Philippe Lefebvre avec Roschdy  Zem et Sara Forestier a pu sortir  sur les écrans mercredi comme prévu, les salariés des laboratoires LTC ayant accepté de  débloquer les négatifs à la suite d’un accord avec l’actionnaire principal.
L’ensemble des travaux en cours de post production doit être sauvegardé, en sécurisant les données numériques réparties dans différents serveurs qui peuvent être réclamés par des créanciers non payés.

Des sorties de film retardées

Pour cela, il faut d’urgence trouver 600 teraoctets de mémoire (600.000 gigaoctets) car  » toutes saisies et déplacements des serveurs informatiques entraîneraient la perte irrévocable des éléments”.
Il s’agit pour les producteurs et distributeurs de récupérer les éléments de leurs films (images et sons) de façon à ce qu’ils puissent ensuite les confier à des sociétés tierces. Et c’est loin d’être évident sans oublier les surcoûts  à prévoir pour les producteurs. Ceux du film « Les Seigneurs » d’Olivier Dahan réfléchissent par exemple à repousser sa sortie de six mois, mais il en coûterait près de 60.000 euros par mois de retard au producteur… Tous ne pourront pas faire face et certains redoutent un affaiblissement de l’ensemble de la filière cinématographique.
Une nouvelle réunion, organisée par le CNC, doit se tenir le 9 janvier pour faciliter le dialogue et trouver des solutions entre toutes les parties concernées industries techniques, producteurs, liquidateur judiciaire et autorités de l’Etat. L’avenir de ces films français en dépend ! Cela devient urgent si l’on en juge la liste des films concernés*…

Par Véronique Guyot

*Au total , treize films dont

1.    La Vérité si je mens 3 de Thomas Gilou
2.    Stars des années 80 de Frédéric Forestier
3.    Renoir de Gilles Bourdos
4.    Les Infidèles de Gilles Lellouche, Jean Dujardin & Co
5.    Populaire de Régis Roinsard
6.    Holly Motors de Leos Carax
7.    Les Seigneurs d’Olivier Dahan
8.    Mains Armées de Pierre Jolivet
9.    Thérèse Desqueyroux de Claude Miller
10.    Astérix et Obélix – Au Service de sa Majesté de Laurent Tirard
11.    La vie d’une autre de Sylvie Testud
12.    10 jours en or de Nicolas Brossette
13.    Sport de Filles de Patricia Mazuy

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