22 février 2012
Yannick Alleno, un terrien étoilé

Yannick Alléno est devenu en quelques années une belle image de marque. Ses initiales s’affichent sur son magazine, YAM et ses restaurants STAY; il s’intéresse aussi au design-avec des plateaux en carbone, dessous d’assiettes ou chaise bébé, a écrit un livre, et se montre fréquemment à la télévision. Un parfait exemple se dit-on de la nouvelle génération des chefs , hommes d’affaires, multi-étoilés, courant la planète et les plateaux de télé. La Lozère de sa grand mère doit être bien loin et l’authenticité des débuts, envolé. D’ailleurs, il est en retard-« une chose qui ne lui arrive jamais » s’excuse sa chargée de communication. Alors on attend dans les bureaux du sous-sol de l’hôtel Meurice à regarder par la vitre les cuisines flambant neuves dans lesquelles s’activent déjà les chefs de partie et autres commis, épilant des brins d’aneth ou ciselant des pointes d’asperges. On y perçoit l’ambiance, l’odeur en moins, avant le coup de feu comme l’on dit-ce moment où tout s’accélère pour que dans les salons dorés de l’hôtel, les plats arrivent, parfaits et sublimes pour réjouir des palais prêts à se délester de plusieurs centaines d’euros. Mais voilà la porte qui s’ouvre. Le sourire est large;  le chef aux trois étoiles  est soudain là.  Entièrement. Généreux, l’œil vif, les mouvements amples, on est saisi par sa simplicité, sa fraicheur, sa curiosité avec cette impression rare de le sentir au service des autres et à ce moment précis-de vous.

D’où arrivez vous? Et quand repartez vous?

J’étais sur le chantier de mon futur restaurant Terroir Parisien dans le 5ème arrondissement. Là, je vais faire la cuisine et je reste à Paris jusqu’à la mi mars. Je ne pars à l’étranger qu’une semaine tous les mois et demi. C’est vrai que je suis un peu insatiable; j’aime construire, créer, prendre des risques. Mais je ne fais que mon métier. Quand je ne suis pas dans la cuisine du Meurice, je suis dans une autre cuisine. Je ne vais pas me perdre dans des choses qui ne me concernent pas. Je me suis associé avec une femme d’affaire pour vendre mes restaurants à l’étranger et je me suis arrangé pour que tous les gens qui m’entourent me protègent de toute la « pollution ». Moi, je suis cuisinier; j’arrive le matin, je prends ma veste et je bosse. Depuis l’age de quinze ans, je suis là dedans, dans cette énergie. C’est un peu foetal…

Vous ne connaissez pas la lassitude?

Je ne me suis encore  jamais levé en ayant pas envie d’y aller. La fatigue, oui, elle est de temps en temps là comme hier soir où c’est moi qui ait éteint la lumière dans les cuisines à une heure du matin. La législation nous donne 35 heures de boulot, moi j’en fais entre 70 à 80 par semaine, alors j’ai deux fois plus de temps pour bosser. Mais, dans les faits,  je ne travaille pas, je vis ma passion. C’est un sacerdoce, sinon ce serait ingérable.

Comment ressentez vous ce fossé grandissant entre ceux qui ont la chance d’être vos clients et la majorité grandissante de gens qui restent sur le quai en ce moment?

C’est désolant, mais faut arrêter de se justifier par rapport à ce que l’on fait. Je suis né derrière un comptoir de bistrot, je ne peux pas vous décrire meilleur école de vie. J’ai tout vu, étant donné où le café était, à la limite de Colombe et Bezons. Que voulez vous faire, aujourd’hui le luxe crée de l’emploi-ici au Meurice, c’est 400 personnes qui travaillent. Dans mon prochain restaurant, les Terroirs Parisiens, c’est 21 personnes que je vais recruter. Et derrière tout cela, il y a des fournisseurs et toute une filière que l’on préserve. Pourquoi je travaille autant, c’est parce que j’ai peur aussi de cette précarité. Donc je n’ai pas envie de me planter et je bosse car j’ai été éduqué avec l’idée que si tu travailles, tu y arrives. Je n’ai jamais eu envie de vivre toute ma vie dans un studio; j’ai une envie farouche d’y arriver. Il n’y a pas de honte à avoir sans compter que le luxe est aujourd’hui un des moteurs forts de l’économie

Vous auriez pu faire un autre métier?

Franchement, non. J’ai toujours dit que je voulais ma troisième étoile avant mes quarante ans. Si je n’avais pas réussi, j’aurai fait ce métier mais autrement; je pense qu’il y a plein d’autres voies. Mais, comme je suis incapable de me mettre dans un bureau, je suis condamné à faire quelque chose de manuel. Malheureusement,  la société aujourd’hui dévalorise beaucoup tous ces métiers qui consistent à être au service des autres. Regardez aujourd’hui la valorisation d’une hôtesse de l’air! On va de plus en plus vers ce qui est « faux » comme ce que l’on fait miroiter aux jeunes à la télé. Ainsi, il y a toutes ces émissions autour de la cuisine mais dans la réalité, entre ceux qui commencent et ceux qui finissent, c’est moins de 10%; vous savez, c’est un métier dur, on bosse quand les autres s’amusent, à Noël, au Jour de l’an.

Quel est votre position vis à vis des produits bio?

Le problème, c’est qu’il faut le garantir. Ça m’intéresse beaucoup, j’ai d’ailleurs travaillé avec Bruno Le Maire, le Ministre de l’Agriculture autour du problème de la PAC. Nous faisons en France avant tout de la diversité ce qui n’intéresse pas du tout l’Europe, laquelle veut avant tout nourrir la masse. On a travaillé ensemble six mois sur ça, en y allant une fois par semaine  et on a bossé pour défendre notre diversité. Mon travail sur le terroir parisien, c’est quatre ans de combat. Il y a aujourd’hui un label. Il faut avoir confiance dans l’homme aussi.

Il me raconte alors comment les voitures consomment de moins en moins, les avions aussi et qu’il apprend tout cela en étant souvent sur le net ou en parlant aux gens, en les écoutant dans les avions, partout où il est, où il va. Puis , il me montre les assiettes et les plateaux en argent  devant nous, leur poids, leur coût et comment il a changé cela avec des plateaux en carbone-plus légers et rendant le service en salle plus élégant et des anneaux d’assiettes qui restent sur la table afin d’avoir des assiettes moins coûteuse en cuisine, là où il y a beaucoup de casse.

Un oeil discret sur sa montre. Voilà, c’est fini. Le service n’attend pas, passage en cuisine; pas de « bonjour, chef  » crié quand il entre. Non, Yannick Alléno se met à circuler avec évidence et souplesse, regardant les produits frais qui l’attendent. Il fait une chaleur presqu’étouffante. Les odeurs sont là, partout. Devant un court bouillon, il s’arrête, trempe une cuillère pour me le faire goûter. Ce sera tout. Un amuse bouche comme l’on dit, juste quelques minutes avant de s’adonner à sa passion qui dévorante, n’attend pas…

 

Par Laetitia Monsacré

 

YAM, magazine disponible en kiosques tous les deux mois avec des recettes- 9,50 euros
Informations sur les restaurants à retrouver sur le site

 

 

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