26 février 2012
Sagan en héritage


15h15. Nous attendons Denis Westhoff dans le hall de son immeuble du XVIIeme arrondissement. Le voilà juste à l’heure du rendez-vous, revenant d’une ballade avec ses deux chiens dans le froid parisien. L’homme est simple -dans le bon sens du terme- et nous accueille dans son appartement chaleureux, tout en nous vantant son dernier dada, une application iPhone qui permet de faire de magnifiques prises de vue. Car à 49 ans le fils unique de Sagan a délaissé son métier de photographe pour un combat qui lui prend tout son temps. Honorer la mémoire de sa mère. Depuis 2007, il a accepté la succession des œuvres de celle que l’on appelait le « gentil petit monstre », et ce faisant, il doit rembourser ses dettes. En pleine bataille judiciaire avec l’ancien éditeur de Françoise Sagan -Julliard- pour récupérer les droits d’auteur de douze romans écrits par sa mère, Denis Westhoff vient de perdre le procès en première instance. D’une voix douce et posée, il raconte ses difficultés, ses espoirs et le souvenir d’une femme qu’il « ne peut décrire en un mot ».

Comment vivez-vous le fait d’être le fils d’un monstre sacré?

 C’est plutôt très agréable parce que ma mère était quelqu’un de très libre, de très ouvert, d’extrêmement intelligent, elle avait beaucoup d’idées, beaucoup d’humour, d’imagination. Tout ça transparaît à travers ses écrits : ses pièces de théâtre, ses nouvelles. Elle a laissé  l’image d’une femme tolérante, pleine d’humour, très ouverte, amicale et protectrice avec ses amis. Parfois très morale sur certains sujets, et donc moi j’ai « récupéré » tout ça : ses œuvres, son image… Lorsqu’on cite le nom Sagan aujourd’hui, c’est vrai que les portes s’ouvrent… Il y a une sorte de grande bienveillance, beaucoup de sympathie… Les gens ont beaucoup d’égard pour elle, de l’amitié et de la tendresse pour Sagan… Pour l’instant, les choses se sont faites de manière miraculeuse. J’ai eu des ennuis par-dessus la tête d’une manière absolument incroyable… Quand elle est morte, tout le monde me disait « mais tu es fou, tu ne vas pas prendre la succession, c’est trop compliqué, trop d’emmerdements, y a trop de choses impossibles à régler ». Et finalement, en avançant dans cette succession, je me suis aperçu qu’il y a une sorte de providence, de facilité… Cela se règle peut-être d’en haut, c’est peut-être elle qui règle les problèmes les uns après les autres…

A quel moment vous vous êtes rendu compte que sa succession pourrait être un poids très lourd à porter ?

Je m’en suis pas rendu compte tout de suite. Mais avec l’avocat, dès qu’on ouvrait un nouveau tiroir, on s’apercevait qu’il y avait des choses affreuses dedans. Il nous a donc fallu du temps pour découvrir l’ampleur du massacre. Il nous raconte alors, comment le fisc « piaffait d’impatience car il n’arrivait pas à se décider sur la succession » découvrant en appelant les trésoreries du 6ème, le 7ème, le 13ème arrondissement, et Honfleur qu’il y en avait pour un million d’euros.

Vous lui en voulez de vous avoir laissé ce fardeau?

Non, pas du tout.Car je sais qu’elle a été vraiment débordée. A la fin de sa vie, la pauvre, était complètement accablée, cernée et incapable de réagir. Les choses se sont accumulées autour d’elle sans qu’elle puisse vraiment les empêcher.

Quand l’avez-vous vue pour la dernière fois ?

Le jour de sa mort. Elle n’était plus toute à fait consciente. De toutes les façons, on ne parlait pas de choses sérieuses, ni d’affaires, ni d’argent.

Etait-elle préoccupée par l’image qu’elle laisserait?

Non, elle s’en foutait complètement. Ça ne l’intéressait pas. Elle pensait qu’après la mort, il y a rien. Qu’après sa disparition, on allait tirer un trait. Elle avait toutefois écrit son épitaphe au cours d’une interview avec Jérôme Garcin, comme ça, en deux secondes devant lui. ‘Sagan, Françoise. Fit son apparition en 1954, avec un mince roman, « Bonjour tristesse », qui fut un scandale mondial. Sa disparition, après une vie et une œuvre également agréables et bâclées, ne fut un scandale que pour elle-même. » Elle ne se prenait pas au sérieux. Ni elle, ni son œuvre.

Et quand elle dit d’elle-même, « une vie bâclée » ?

Je pense qu’elle fait référence à cette image que les gens ont d’elle. D’une femme qui a vécu une vie complètement dissolue. Qui a joué au casino. Qui a roulé à 200 à l’heure en Ferrari. Qui a dépensé de l’argent. Qui a entretenu tout une bande de gigolos… C’est ça la vie bâclée, mais sa vie n’était pas bâclée !

Qui était la vraie Sagan ?

Il faudra lire mon livre, celui que j’écris… (rires)

Justement vous vous attachez à rétablir la vérité… la réalité ?

Vous savez lutter contre des légendes absurdes, ce n’est pas très difficile. Qu’elle roule pieds nus en Jaguar, ce n’est pas très important.

Une maquette de Ferrari noire est sur l’étagère face à nous, celle de sa mère, dans laquelle il s’installait quand il avait cinq ans. Et dont il se souvient de l’odeur et du bruit.

Était-elle une bonne mère?

Oui, elle faisait très attention à mon éducation, même si elle n’était pas toujours là. Elle veillait à ce que je sois bien habillé, à l’école à l’heure, que je fasse bien mes devoirs et que je sois bien élevé. Quand on a vécu avec quelqu’un comme ça, on est sur son modèle, inspiré par elle d’une certaine manière. Par ailleurs, j’ai toujours dissocié la mère de l’écrivain. J’ai eu un rapport avec elle qui était vraiment de fils à mère.

 Cela vous a-t-il  protégé de vous appeler Westhoff?

Oui, c’est le nom de mon père. Elle ne voulait pas que je m’appelle Sagan, que je sois sur les couvertures de magazines exhibé devant les caméras ou les appareils photos. C’est vrai qu’à l’école, c’était parfois embêtant, j’étais un peu montré du doigt; le professeur le savait, le directeur de l’école aussi. Il faut dire qu’à l’époque, elle était vraiment une star.

Et vous viviez cela comment ?

Très bien, puisque je gardais ce rapport avec elle, tout à fait innocent. J’avais ce lien de fils à mère. Humain, complice, tendre et affectueux.

Quel âge aviez-vous lorsqu’elle est morte?

42 ans. Je me suis alors rendu compte que j’étais vraiment orphelin au moment où je me suis retrouvé noyé dans toute cette paperasse. Mais j’avais pris la décision au départ d’accepter la succession. La décision d’aller jusqu’au bout. Au début je pensais pouvoir continuer à être photographe, mais je me suis aperçue qu’il y avait tellement de travail qu’il n’était pas possible de faire les deux.

Dans « Les yeux de soie », publié chez Stock, quelle nouvelle préférez-vous?

J’aime beaucoup La Mort en Espadrille. Ma mère avait une manière un peu particulière de créer ses histoires… Elle prenait un bloc de papiers, puis elle mettait des colonnes. Elle choisissait une époque, un lieu, elle choisissait les personnages… Et puis elle faisait une colonne par époque, une colonne par type de milieu social par exemple. Elle faisait des croix. Puis elle faisait correspondre. « Tiens je vais faire une histoire qui se passe plutôt début XIXème siècle, avec des gens plutôt bourgeois de province, avec une histoire plutôt passionnelle… » C’est comme ça qu’elle construisait ses histoires. Un jour, il y a très longtemps, on était rue Guilbert, je devais avoir 13, 14 ans, et c’était juste avant qu’elle sorte ce recueil de nouvelles et elle me dit : « tiens on va écrire une nouvelle ensemble ». Moi j’avais 13 ans. J’ai dit « ah bon ? ». « Oui, oui, pense à une histoire… Sur quoi on part ? » Puis on invente un personnage. Elle m’a dit, on va partir sur un groom. La personne qui travaille dans un casino et qui ouvre la porte aux gens qui arrivent en voiture. Peu après, elle m’a dit « qu’est-ce qui se passe ? Y a un couple très élégant qui arrive pour jouer au casino… Puis non, en fait c’est une femme seule, très belle qui arrive. Elle prend sa voiture… Et le petit groom descend les marches, il va ouvrir les portes de la voiture. Il tombe nez à nez avec cette femme qui est une vraie beauté et qui est plus âgée que lui. Cette femme, visiblement seule, rentre dans le casino, joue,  et au petit matin, un petit peu éméchée, ayant perdu, retombe sur le groom. Elle lui dit alors : « est-ce que ça vous dirait d’aller faire un tour ? » Ils montent tous les deux en voiture. Puis elle l’emmène sur un champ de course, parce que son mari a des chevaux de course. Et ils vont au petit matin, là où les chevaux courent, cette espèce de grande ligne droite qu’il y a dans les bois. Elle monte alors sur un cheval de course, qui part au triple galop, tombe et se tue. Toute cette histoire on l’a montée ensemble.

Si votre mère était vivante aujourd’hui, que direz t-elle d’après vous ?

Que ça ne l’intéresse plus. Elle serait en retrait et un peu dégoûtée,  sans soute par tout cela.

Deux heures se sont écoulées et le soleil commence à décliner. Un portable sonne. Denis Westhoff est attendu. Il nous offre quelques minutes de plus, le temps d’immortaliser notre interview et de photographier un des carnets de note de sa mère – le seul qu’il possède, les autres étant restés dans la maison de Honfleur qui appartient désormais à l’amie de Sagan, Ingrid Mechoulam.  Nous repartons alors avec cette impression diffuse que dans cette pièce, c’est bien Françoise et non Sagan qui était là.

                      Par Ulysse Gosset et Sarah Vernhes

 

 

 

 

 

 

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