28 décembre 2011
Vincent Delerm se souvient des belles choses

« Moi ce qui me fait de l’effet, c’est les trucs phosphorescents, c’est le moment où ça s’éteint dans la salle, avant un spectacle ou avant un film. C’est les guirlandes, les feux d’artifices, les trajets en plein air quand la nuit tombe », déclare la voix mutine d’un petit garçon sur le charmant album pour enfant composé par Vincent Delerm « Léonard a une sensibilité de gauche »*. Si comme Léonard/Vincent, la seule vue d’un cotillon, d’un serpentin, de confettis négligemment éparpillés par terre ou de lampions lumineux suspendus au dessus d’un piano, vous pince le cœur, il faut se ruer aux Bouffes du Nord, où le fameux chanteur à la voix tortueuse a bricolé, avec la complicité de Macha Makeïeff un spectacle à part. A son image, donc. Ce n’est pas un concert, même si Delerm y joue neuf chansons inédites, ce n’est pas du théâtre non plus. Mais un spectacle hybride comme jamais vu ailleurs, où il est essentiellement question du temps qui passe. Une obsession chez Delerm dont les chansons sont envahies par la nostalgie. Alors, pendant une heure et demie, avec ce sens du détail qui fait tout son charme, le chanteur égrène ses souvenirs. Ou plutôt ceux de Simon, son double de scène.

Comme un album de photos vieillies

Et ses souvenirs à lui, ce sont aussi les nôtres. Avec « Memory », Delerm fait appel à sa mémoire et à celle de tout un pays. Il y est question de rideaux en bandes de plastique multicolores, de Pariscope, de Kim Wilde et Tracy Chapman, de tortues d’eau, de vélos rouillés dont on a changé mille fois les rustines, de Stefan Edberg, Boris Becker et de Léo Ferré, de radio-cassettes oubliées sur la plage arrière d’une voiture et de Muppets Show. Et peu à peu, on s’immerge dans le spectacle de Delerm comme dans un vieil album photo retrouvé dans le grenier poussiéreux de notre grand-mère. Sourire aux lèvres et larme à l’œil, des images nous reviennent. A coups d’extraits de vieux films en noir et blanc projetés sur des draps blancs ou sur les murs délabrés du théâtre, de photos au charme suranné, d’enregistrements vieillis, de décors rétro, Delerm crée son petit univers délicieusement mélancolique et tourne les pages de son carnet secret dans lequel il a consigné au crayon de papier ce qui l’a façonné. Ce pourrait être narcissique. Mais le ton sarcastique adopté d’emblée permet d’éviter tout nombrilisme. Le second degré, toujours de mise chez Delerm, confère au spectacle une ironie salutaire. Et la dimension collective de cette mémoire égrenée permet au public une identification immédiate et un partage total entre Delerm et la salle, qui rit parfois aux éclats. Car oui, Vincent est très drôle. Comme tous les grands mélancoliques.

Son spectacle lui permet d’ailleurs de dissiper quelques malentendus à son égard. Un peu trop vite classé porte voix des « bobos » -il faut dire qu’il l’a bien cherché !, on y apprend que le jeune Simon/Vincent a passé son enfance et son adolescence dans une petite bourgade près de Rouen. Qu’il y a trompé son ennui à coups de rêveries insensées au sujet de la petite Sandrine, de ballades à vélo avec un cousin du même âge, d’échanges de revers et de coups droits avec le mur de la place du village. Delerm, un bobo de province en somme.

 

Par Sarah Gandillot

« Memory », de Vincent Delerm, au Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis Boulevard de La Chapelle, 75 010, jusqu’au 30 décembre.
*« Léonard a une sensibilité de gauche », sorti début novembre chez Tôt ou Tard.

Articles similaires