16 décembre 2019
Une Rusalka sous le signe de la féerie épurée à Anvers

Ce n’est pas à l’Opéra des Flandres que les fêtes de fin d’année rimeront avec la magie parfois facile des standards du divertissement familial souvent de rigueur en cette période. Pour autant, si la maison compte parmi les plus inventives, sinon engagées, de la scène européenne, elle n’en sacrifie pas pour autant la poésie et la féerie. Commandée au chorégraphe norvégien Alan Lucien Øyen – qui donnera une création à l’Opéra de Paris en avril prochain, où il sera invité pour la première fois –, la nouvelle production de Rusalka s’inscrit dans un dialogue entre les ressources du genre lyrique et de la danse que l’on avait déjà apprécié dans le Pelléas et Mélisande réglé par Sidi Larbi Cherkaoui en février 2018. Variation tchèque due à Erben d’Ondine et de La petite sirène, l’argument du plus célèbre opéra de Dvorak – et le seul qui se soit inscrit au répertoire hors des frontières de son pays – plonge dans une atmosphère de conte mélancolique empreinte d’onirisme.
Dessinée par Åsmund Faeravaag, la scénographie épurée se résume à un dispositif ondulant de bois clair, suggérant autant les vagues des eaux du lac que, au gré de rotations lentes, les murs du palais du prince. Les lumières de Martin Flack animent de manière inspirée un décor aux confins de l’abstraction, dans une dynamique qui stimule l’imagination. Si l’évocation d’un lien maternel tragique entre l’héroïne et Jeżibaba affleure pendant l’ouverture, l’idée n’est guère développée, ne réapparaissant que très furtivement à la fin de l’oeuvre, et l’essentiel de la sève dramaturgique de la mise en scène réside dans le dédoublement entre voix et pas. Avec une belle économie aux accents quasi intimistes, le concept se concentre sur les caractères principaux, et leur solitude, sans néanmoins creuser réellement leur psychologie et le potentiel théâtral des situations. Moins ostensiblement psychanalytique que le spectacle de Carsen à la Bastille, il restitue habilement le clivage entre le monde des nymphes et celui des hommes, particulièrement au deuxième acte, où le corps est l’unique moyen de communication pour une Rusalka condamnée au mutisme, même si, ailleurs, le procédé n’évite pas toujours une certaine redondance.

Dédoublement poétique et incarnation investie

Dans le rôle-titre, Pumeza Matshikiza affirme un authentique investissement, avec un timbre, qui rappelle ça et là, sans les afféteries, une Fleming : le frémissement de la ligne enveloppe l’oreille, et se met au service de la vérité d’une incarnation qui rendra secondaires les teintes un peu métalliques que d’aucuns décèleront. En Prince, Mykhailo Malafii se révèle quelque peu inégal dans une vaillance qui n’oublie pas la vulnérabilité. Goderdzi Janelidze fait valoir une indéniable robustesse, avec une pâte paternelle et vigoureuse, idéale pour Vodník (Ondin), l’Esprit des eaux, à peine altérée par quelque effort dans son grand solo de déploration dans le château princier. Maria Riccarda Wesseling endosse le rôle de la sorcière Jeżibaba avec une remarquable sensibilité, explorant la complexité du caractère, jusque dans ses ressacs. Karen Vermeiren condense l’orgueil de la princesse étrangère. Le reste de la distribution est confiée à des solistes du Jeune Ensemble de l’Opéra des Flandres : Daniel Arnaldos en garde-forestier, Julien Hopkins, un chasseur, ainsi que les trois nymphes – Annelies Van Gramberen, Zofia Hanna, la seule à ne pas être membre de la troupe, et Raphaële Green, également garçon de cuisine. Préparés par Jan Schweiger, les choeurs remplissent leur office. Dans la fosse, Giedrė Šlekytė fait vivre l’expressivité des couleurs d’une partition qu’elle défend avec enthousiasme. Une belle manière de finir l’année, et de commencer la suivante.

Par Gilles Charlassier

Rusalka, Dvorak, Anvers décembre 2019, et à Gand jusqu’au 20 janvier 2020

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