24 novembre 2011
Un samedi au Paradis

Jacques Weber a été le premier à être « énervé » par Jean Michel Ribes – pour reprendre le titre du spectacle que ce dernier vient de donner avec succès en octobre dernier-génial « René l’énervé ». C’est qu’ il s’y voyait bien l’ancien élève de la rue Blanche devenir le directeur, après le Théâtre de Nice,  de cette élégante maison sur les  Champs Elysées, autrefois Théâtre Jean-Louis Barrault. Oui, mais voilà Jean Michel Ribes a été choisi et dix ans plus tard, la réussite est là-évidente et brillante.  A l’image de ce qui ressemble à s’y méprendre  à une famille – du gardien aux ouvreurs et ouvreuses en passant par les artistes qui, comme Sophie Marceau  ce samedi- soir de dernière pour elle (voir rubrique théâtre) – semblait bien heureuse au milieu d’admirateurs et accompagnée de Christophe Lambert, de s’attarder  là encore quelques instants. Il faut dire que ce théâtre est une vraie ruche; une trentaine de jeunes gens habillés dans une élégante tenue indigo assortie aux moquettes – discrets et attentionnés, pas moins de six spectacles tout au long de  l’après midi, un restaurant de 150 couverts où il vaut mieux réserver et une vraie librairie, gérée par Actes Sud avec des petites fiches comme on les aime. Les « abeilles » y sont de tous les âges et c’est peut être là l’expression du talent de Jean Michel Ribes qui remplit ses trois salles avec un public varié, habitués ou novices comme ces trois jeunes femmes venues applaudir Sophie Marceau, en appréciant « qu’ elle n’ait pas choisi la facilité ». Car, ce théâtre se mérite. Un comité de lecture qui choisit parmi 1200 manuscrits par an, des pointures en écriture ou en mise en scène comme Lydie Salvaire, Marie Ndyaye, Zabou Breitman, Laurent Solly, Stanislas Nordey, Enki Bilal et bien sur des comédiens ou « performers » tels Isabelle Carré, Jacques Gamblin, François Begaudau, Gaspard Proust, Nouara Naghouche, Christophe Alévêque, Dominique Blanc ou Guy Bedos.

Gamblin et Jouvet

Vous l’aurez compris, si l’ on est ici ouvert à tout et à tous, il convient de remplir les salles avec le souci d’impliquer le public. « Tout le monde voit? » ne manque pas de s’enquérir ainsi Jacques Gamblin dans « Tout est normal, mon coeur scintille », une heure et demie de plaisir absolu dans une salle pleine à craquer à l’heure où d’autres pratiquent à quelques mètres de là le shopping intensif. Tel un pantomime, dans la veine du mime Marceau, l’acteur inoubliable dans les films « Le premier jour du reste de ma vie » ou « Le nom des gens » ondule, se tord, allonge son cou comme lorsqu’il singe une girafe. « Dorénavant, vous ne verrez plus que mon cul, ajoute- t’il. Dire qu’elle pensait que ce serait une punition pour les hommes! ». La salle est vite sous le charme de ce grand échalas qui fait irrésistiblement penser à Louis Jouvet, ce même visage mobile, cet air de ne pas y toucher . »A Paris, vous savez tout, hein! »se moque- t’il avant de mimer frénétiquement une musaraigne, déclenchant des fous rires en rafales dans la salle. Lumières au cordeau-le Rond point c’est aussi une équipe technique irréprochable (et jamais en grève)-musique enveloppante  de Patrick Watson, deux danseurs bientôt rejoignent  Gamblin sur scène pour un pas de trois inspiré. Ca scintille, ça poétise, ça rit lorsque la veste devient jupe et qu’il  montre « ces belles jambes qui peuvent être décevantes sur la longueur. » Le spectacle lui ne l’est pas une seconde en tous cas. Pas plus que cette lecture dans la salle Roland Topor et  dans le cadre d' »Une chaise, une voix, un texte » des écrits de Pierre Etaix lus avec gourmandise par Ariane Ascaride et Thierry Frémont, parfaits. Leçon de grammaire, recette de cuisine, aphorismes « J’ai connu un présentateur TV aussi mauvais qu’un autre, j’ai connu un daltonien qui me donna rendez-vous à Moscou sur la place verte, j’ai connu un con-voyeur en deux mots », la lecture est jubilatoire au point que le fou rire finit par saisir les comédiens eux mêmes.

Cochonnerie ratée

Voilà qui ne risque pas d’arriver à ceux de Truismes, spectacle d’Alfredo Arias donné à 21 heures  dans  la grande salle qui pour l’occasion n’est pas pleine. Il faut dire qu’en s’inspirant du livre de Marie Darrieussecq qui racontait la métamorphose d’une femme en truie, le résultat est d’un glauque et d’un vulgaire qui font en quelques minutes quitter le paradis pour l’enfer. Et le sentiment désagréable d’avoir tiré la mauvaise carte car pendant ce temps là se joue une désopilante leçon de choses avec Jean Louis Fournier et « Tout enfant abandonné sera détruit » où assis sur des bacs comme à l’école, l’on apprend que « lorsque l’enfant parait, le bonheur disparait, les économies aussi ». Et qu’un enfant qui gigote sans cesse peut être « un très bon moyen de produire de l’électricité grâce à son énergie cinétique ». Le professeur Fournier-par ailleurs auteur du très beau livre couronné par le Femina en 2008,  « Où on va papa?  » donne ainsi moult conseils en matière d’héritages, classement des enfants en catastrophe naturelle, etc…De quoi finir la soirée avec bonheur, chose parfaitement absente pour le public de Truismes dont la plupart ne sortirent pas avant la fin non par politesse pour la pièce mais pour leurs voisins comme me l’explique un monsieur.  Et oui, on ne gagne pas à tous les coups avec toujours cependant le moyen de se consoler  dans la librairie encore ouverte en feuilletant livres de théâtre et autre écrits comme le Rire de résistance de Diogène à Charlie Hebdo où Francis Picabia est cité: « Les gens sérieux ont une petite odeur de charogne ». De quoi  résumer la pensée du Rond Point…

par Laetitia Monsacré

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