2 mars 2012
Un Iranien à Paris

Paris, brasserie Lipp, Amir Samour présente son Journal de l’amertume, publié chez François Bourin Éditeur, dans la collection « Les moutons noirs », soutenue par Pierre Bergé et dédiée à des auteurs qui contestent les dictatures. Amir Samour a fait le voyage de Téhéran pour présenter ce texte dans lequel il a rassemblé de manière échevelée et romancée, avec une ironie toute persane, des notes accumulées depuis plus de trente ans de révolution islamique. Son livre n’est pas sans rappeler les Notes d’un veilleur de nuit, écrites à Moscou en 1978 par Zinoviev, dressant de manière particulièrement caustique l’état des lieux du brejnévisme finissant. La situation n’est pas sans rapport, au regard du décalage entre la société et le pouvoir qui s’observe aujourd’hui Téhéran.

Désenchantement et dos rond

Un rire amer traverse ce journal qui rappelle ce qu’ont vécu les Iraniens depuis le retour triomphal à Téhéran de l’ayatollah Khomeyni après son exil à Neauphle-le-Château, en 1979. Après la chute du Shah, nombreux étaient ceux qui, comme Samour, avaient choisi de rentrer au pays espérant des lendemains meilleurs. Rapidement, ils avaient déchanté, d’autant plus qu’avait éclaté la guerre Iran-Irak, qui dura près de huit ans. Vivre sous les bombes, tandis que les forces vives du pays allaient à la boucherie… Certains préférèrent repartir. Samour a choisi lui de demeurer à Téhéran – avec, pour garder le moral, un solide amour de la littérature, française et iranienne dont il se fait volontiers le passeur d’une langue à l’autre. La République islamique a survécu à la mort de Khomeyni en 1989, et les choses ne se sont pas améliorées depuis.

« Pour nous qui sommes restés, dit-il, il a fallu s’adapter, jouer au chat et à la souris avec le régime. » Son journal raconte comment à Téhéran, on vit dans le double langage, dans les marges, comment une société méprise ceux qui la contraignent tout en faisant le dos rond, mais comment aussi il passe des accommodements, parce qu’il faut vivre. « On est soi-même, tout en étant un autre. » Un art de la patience et du pas de côté. Les petits cercles d’amis, écrivains, philosophe, cinéastes permettent d’échanger en privé ce qui ne peut s’exprimer publiquement. La poésie en dit plus à sa manière qu’un grand discours.

Espoir et résistance

Le livre d’Amir Samour n’est pas un manifeste politique : qu’y a-t-il à proclamer dans ce domaine qui ne relève de l’évidence connue de chacun, à moins de rechercher un affrontement direct et par trop inégal avec le régime ? Il ne présente pas non plus une analyse des rapports de forces entre ceux-ci et ceux-là, mais la chronique d’une vie en marge, où les uns et les autres se soutiennent comme ils peuvent, pour résister en espérant que le régime finira par s’effondrer sur lui-même. « On s’adapte, répète l’auteur, les Iraniens se sont toujours adaptés. C’est comme ça qu’ils ont gardé leur langue et leur culture quand les Arabes sont arrivés. On se débrouille. » Mais Samour convient que depuis l’élection volée de 2009 c’est de plus en plus difficile.

Le régime se prépare, assure l’écrivain, à l’instauration du califat au bénéfice d’Ali Khamenei, puisque la rupture est consommée entre le Guide et Mahmoud Ahmadinéjad, dont certains s’attendent à ce qu’il soit bientôt écarté du pouvoir. Rien à espérer de bon de la victoire de l’un sur l’autre. Déjà, l’affrontement sourd entre les factions du régime rend la situation des plus tendues. On regrette le temps du président Khatami – sorte de dégel khrouchtchévien à l’iranienne – et l’on sait que le mouvement Vert n’est pas en mesure de retourner la situation. Sans doute le souvenir encore frais de la guerre et l’exemple voisin de l’Irak aujourd’hui dévasté, livré à la violence sporadique et aux règlements de compte, poussent-ils les Iraniens à la réserve tandis qu’ils observent – atterrés et révoltés – la barbarie à laquelle se livrent en Syrie Bachar el-Assad et ses sbires à l’encontre du peuple.

Dans l’attente des élections

Dès lors, comment survivre ? Comment ne pas perdre la tête ? « Le pays est fatigué », dit Samour, dont le héros finit par craquer, comme si la folie était l’unique échappatoire. « Il faut tenir. » En parlant, l’écrivain rit souvent, d’un rire nerveux qui trahit des cauchemars dont on sent qu’ils ne sont jamais loin. Naturellement, il va rentrer, car il aime son pays et ne saurait en rester éloigné – c’est si évident quand on l’entend en parler. Mais s’il y a une bonne nouvelle dans ce qu’il en rapporte aujourd’hui, c’est que les Iraniens ne mordent plus à l’hameçon nationaliste que leur tend le régime. Ils en ont assez vu pour ne pas confondre le régime et la nation. Ils ont même pris le parti d’en rire. Et ils ne s’en sont pas privés, début février, lorsque pour célébrer l’anniversaire du retour de l’Ayatollah Khomeyni en Iran, les autorités n’ont rien trouvé de mieux que de simuler sa descente de l’avion en manipulant une silhouette en carton à son effigie. Les commentaires sarcastiques n’ont pas manqué sur la blogosphère et les réseaux sociaux.

« L’Iran est à un tournant », conclut Amir Samour. « Cela ne peut pas durer longtemps comme ça. » Certes, les élections législatives de mars prochain pourraient bien marquer le début de la fin d’Ahmadinéjad et conforter Khamenei qui jouit du soutien d’une bonne part des forces armées, mais personne ne se risque à imaginer quelle sera la suite. Samour ne voit pas venir un printemps iranien, même si la jeunesse n’a qu’une envie : celle de connaître enfin la liberté.

Par Jean-François Bouthors

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