2 novembre 2011

C’est un coup d’essai : premier livre, et c’est un coup de maitre ! Alexis Jenni vient de remporter le Goncourt de cette année avec un grand livre. Lorsqu’on pénètre dans son écriture, on est surpris d’une telle force et d’une telle grâce dans le choix des mots. On sait que le Goncourt est le gage d’une source de livres à venir intarissable de la part du lauréat et l’on soupire d’aise car s’il a reçu ce prix mi-littéraire, mi-marketing, nous avons nous lecteur, reçu un auteur de plus dans notre vie et notre bibliothèque.
« L’art français de la guerre » nous présente celle-ci, menée ou subie par les français dans les lieux les plus différents, de l’enfer de l’Indochine aux futaies et villages de la Saône en France, des lieux où l’on peut se cacher en embuscade, à ceux où l’on est exposé « comme une cible ».
Alexis Jenni a une langue si belle qu’il peut tout dire, et il le fait. Il permet à tous de rentrer dans son livre, telle la femme allergique aux histoires de guerre, tel l’ado fragile; tous trouveront dans ses pages une raison de s’y tenir: celle que portent le talent, cette beauté de la langue, cette force de la description qui propulse l’inanité de la guerre au plus haut niveau.
« Les policiers sont jeunes, très jeunes. On envoie des jeunes gens en colonnes blindées reprendre le contrôle de zones internationales. Ils font des dégâts et repartent. Comme là-bas. L’art de la guerre ne change pas »
Une guerre qui a ses règles,  l’auteur nous exposant froidement cet « art » :
– Vous avez tué n’importe qui.
– Si l’on ne tuait que les combattants, ce ne serait que la guerre. La terreur est un instrument très élaboré, cela consiste à créer autour de nous un affolement qui dégage la route. Alors nous avançons tranquillement et nos ennemis perdent leur soutien. Il faut créer cette atmosphère de terreur impersonnelle, c’est une technique militaire.

Mais, avec son style magnifique, Alexis Jenni pourrait tout aussi parfaitement écrire un roman tendre et heureux. Ainsi décrit-il un sourire: « Au moment de son sourire, Victorien Salignon est nu. Il ne dit rien, juste l’ouverture, et il permet d’entrer dans une pièce vide, une de ses merveilleuses pièces vides des appartements avant que l’on emménage, juste remplies du soleil »
Il décrit la guerre avec précision et s’il en décrit les absurdités, il n’est jamais naïf, lui qui cite l’Odyssée :
« Puis, ayant harponné mes gens comme des thons, la troupe les emporte à l’horrible festin … Homère parle de nous bien plus que les actualités filmées. Au cinéma, ils me font rire, ces petits films pompeux : ils ne montrent rien »,

Or, Alexis Jenni dit tout, des horreurs qui font le quotidien de la guerre : « Je n’ai jamais vu autant de sang. Il y en a plein les feuillages, plein les pierres, plein les arroyos verts, la boue devient rouge », et des effrois vécus par le combattant : « Il se souvenait de l’odeur comme d’une courbature à l’intérieur, il en avait le nez et la gorge blessés »
Une guerre où la solidarité entre les hommes est aussi magnifiée : « Ils marchaient sans se retourner et sentaient autour d’eux comme un voile, un manteau, un drap, l’attention de l’autre qui le couvrait tout entier, et suivait ses mouvements ».
La France, ce pays « qui a une langue » comme s’en flattait Régis Debray, nouveau membre cette année de l’Académie Goncourt, peut s’enorgueillir de cette plume qui rejoint les plus belles et les plus fortes de notre époque, généreuse en écrivains mais économe en grands talents.

par Marine Romane

Le prix Renaudot a par ailleurs été attribué à Emmanuel Carrère pour son Limonov chez POL salué par la critique.
Lire également l’article d’Ulysse Gosset sur le très beau Retour à Killisberg de Sorj Chalandon chez Grasset qui a reçu le Grand prix de l’Académie Française.


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